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"les six fonctions du langage" de Clémentine Mélois - Seuil
Présentation de l'éditeur :
Voici un roman-photo comme vous n’en avez jamais vu. Jalousies, trahisons, bagarres, cafés gourmands, photocopieuses en panne et tendres baisers: Clémentine Mélois, plasticienne, écrivaine et membre de l’Oulipo, connue pour ses détournements de classiques de la littérature revus et passés à la moulinette de la culture pop (Cent titres, Grasset 2014) s’empare du très populaire roman-photo pour étudier le langage dans toutes ses fonctions. Au fil de dix-huit histoires hilarantes, on découvrira des hommes et des femmes en proie à toutes les dépravations lexicales, des employés de bureau désorientés, un agent immobilier malmené, un catcheur mexicain, des pantalons pattes d’éléphants et même un certain Roland Barthes.
Extrait :
Ce que j'en pense :
C'est un très amusant télescopage entre des extraits de BD des années 70/80 et un texte très étonnant, mélangeant les jargons spécifiques à des catégories professionnelles, des tics de langage contemporains et des curiosités langagières. L'autrice y est allé avec le dos de la cuillère pour faire "baver" les couleurs de ces romans photos (sans doute sud américains). Cela peut étonner mais il faut vraiment se laisser aller dans la lecture de cet objet littéraire.
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"Le tout dernier été" de Anne Bert - Fayard
Présentation de l'éditeur :
« Je viens de rencontrer mes passeurs. Ces hommes qui font désormais partie de ma vie puisqu’ils vont m’aider à la quitter.
Je les ai sentis rigoureux, exigeants, prudents. Et engagés à me tendre doucement la main. Une autre médecine qui, quand elle ne peut plus soigner le corps, se décide à soigner l’âme. »
Parce qu’elle aime furieusement la vie et qu’elle est condamnée, Anne Bert a décidé de choisir et de ne pas subir jusqu’au bout les tortures que lui inflige la maladie de Charcot. C’est ce cheminement qu’elle nous raconte ici. Celui de devoir mourir hors-la-loi, et hors-les-murs, puisque la loi française ne l’autorise pas à abréger ses souffrances. Celui aussi de son dernier été.
Il faut découvrir le goût des dernières fois et des renoncements, apprendre à penser la mort, dire au revoir à ceux qu’elle aime, en faisant le pari de la joie malgré le chagrin.
Un récit poignant, une ode à la liberté et à la vie, permise seulement par sa détermination à dire non.Première page :
Je me suis encore laissé surprendre. Les lilas, ce matin, ont fleuri derrière mon dos.
Hier, je suis pourtant allée les visiter de très bonne heure. Sous l’écorce des bourgeons, affleurait un délicat grenat, rose, mauve.
Ils ont dû s’épanouir dans l’après-midi, quand je ne les regardais pas.
Cette année, je n’ai pas pu en cueillir. Ils n’ont pas embaumé la maison. Alors je les ai contemplés et respirés longtemps, le nez dans les grappes.
Je voulais emporter leur parfum en moi. Celui un peu lourd qui me rappelle le jardin de mon arrière-grand-mère. Et leur couleur, celle des vieilles dames, des disparus et des adieux.
Ce que j'en pense :
L’écriture de ce « dernier été » est pleine de pudeur, de sensibilité et de poésie. C’est rempli d’émotion avec des multitudes de « petites touches » glanées autour d’elle, avec sa famille, ses amis, dans la nature, comme une façon de dire au revoir (ou adieu). J’ai cependant une petite déception car j’attendais que l’auteure nous parle plus de son cheminement par rapport à l’euthanasie.
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"Le fils du professeur" de Luc Chomarat - La manufacture de livres
Présentation de l'éditeur :
« Mes parents, j’avais l’impression de les connaître comme si je les avais faits. Cette jeune femme très Nouvelle Vague, cinquante de tour de taille, des dents blanches et bien alignées, grande douceur un peu triste, c’était ma maman. L’autre, si grand que la plupart du temps je ne savais pas trop à quoi il ressemblait là-haut, une voix qui descendait d’entre les nuages, c’était le professeur. Mon papa. » Dans cette petite famille se joue l’éternelle aventure de l’enfance. Il y a les combats acharnés contre les copains cow-boys, les stratagèmes habiles pour trouver sa place dans la cour de récré, les questionnements existentiels et la fascination pour les femmes si indéchiffrables. Et pendant ce temps, d’autres luttent pour la liberté, tuent des présidents, marchent sur la lune, mènent une guerre froide...
Des souvenirs vagues de la maternelle aux élans de l’adolescence, Luc Chomarat nous invite à redécouvrir un monde empli de mystères et peuplé d’amis imaginaires. De sa plume impertinente et pleine d’esprit, il propose de cheminer à hauteur d’enfant sur la route faite de rêves et de défis qui mène à l’âge adulte.
Première page :
Quand j’étais enfant je trouvais tout normal. Ma mère m’enfermait régulièrement dans la cave, dans le noir complet. Je trouvais ça normal.
La cave était située sur le palier. Chaque appartement disposait de ce petit réduit où l’on pouvait caser tout ce qui encombrait, les balais, le seau, la serpillère, et moi. Au début des années soixante j’étais une petite chose à peine débarquée, mais j’étais tellement furieux que je donnais des coups de pied dans la porte pendant des heures, ou ce qui me semblait des heures, hurlant et trépignant et crachant des larmes de rage. Puis après j’avais peur, je m’asseyais dans un coin, silencieux comme les ombres, guettant son pas à l’extérieur. Peut-être qu’elle allait me laisser là pour toujours ? On ne sait jamais avec les femmes.
Quand je dis que je trouvais ça normal, c’est tout simplement que je n’avais aucun moyen de comparer. Je ne savais pas comment ça se passait pour les autres enfants. On ne parlait pas de ça, à l’école. Car j’allais à l’école, depuis quelque temps. Un jour j’étais sorti de la cour très fier et j’avais annoncé : «J’ai un copain il s’appelle idiot.»
Pour une raison aujourd’hui obscure, je considérais ça comme un titre de gloire.
Ce que j'en pense :
Chaque lecteur ou lectrice de la génération de l’auteur pourra sans doute se retrouver dans ce roman (qui a une bonne part d’autobiographie). C’est écrit, du point de vue de l’enfant puis de l’adolescent, avec un judicieux mélange de sincérité, de candeur et d’humour mais sans aucune nostalgie.. Beaucoup de sujets, toujours d’actualité, sont abordés sans en avoir l’air mais avec justesse. J’ai malheureusement trouvé quelques petites longueurs qui m’empêchent d’en faire un bon coup de cœur.
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"Faire mouche" de Vincent Almendros - les éditions de minuit
Présentation de l'éditeur :
À défaut de pouvoir se détériorer, mes rapports s’étaient considérablement distendus avec ma famille. Or, cet été-là, ma cousine se mariait. J’allais donc revenir à Saint-Fourneau. Et les revoir. Tous. Enfin, ceux qui restaient.
Mais soyons honnête, le problème n’était pas là.Première page :
J’avais été, jusque-là, un homme sans histoire. Peut-être parce que j’étais né dans un village isolé, au milieu de rien. Car c’était ça, Saint-Fourneau, un trou perdu. Y revenir m’avait toujours paru compliqué. Il faut dire que ma mère, elle, y vivait encore.
Nous venions, Claire et moi, de quitter l’A75. Le soir était tombé. Les phares de la Nissan éclairaient maintenant la départe- mentale en lacets. Depuis plusieurs kilomètres, nous ne croisions plus aucune voiture. Le paysage était devenu escarpé et montagneux, composé d’à-pics ou de reliefs rocheux boursouflés de végétation. Il se vallonna de
nouveau, et les premiers panneaux indiquant Saint-Fourneau apparurent.
Lorsque, dans la nuit, je distinguai en contrebas de la route le champ de la Métairie, je ralentis…Ce que j'en pense :
Magnifiquement écrit, sans fioritures, allant à l’essentiel… tout est suggéré en quelques mots. On est à la fois dans une ambiance un peu lourde mais aussi assez banale. On peut même être mal à l’aise devant les non-dits, les silences, les tensions. On sait que les éditions de minuit font actuellement plutôt dans le noir on s’attend donc un peu à la chute mais c’est vraiment un livre à découvrir.
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"Sauve-la" de Sylvain Forge - Le livre de poche
Présentation de l'éditeur :
Alexis Lepage, modeste employé d’assurances, est sur le point de se marier avec la fille de son patron lorsqu’il reçoit un message de Clara, son amour de jeunesse, qui refait surface après des années.
Alors qu’elle le supplie de l’aider à retrouver sa fille disparue, Alexis hésite. Que dissimule cette demande impromptue, si longtemps après leur séparation?? Et pourquoi Clara refuse-t-elle de le rencontrer??
Replongé dans un passé dont il n’a jamais fait le deuil, Alexis va partir à la recherche d’une fille dont il ignore tout.
Son enquête le conduira droit en enfer.
Un thriller haletant sur l’intrusion du numérique dans nos vies, son impact sur nos représentations du monde et de la mort.Première page :
Le crépuscule assombrissait l’horizon quand le vieux bus enchaîna ses premiers virages. Sur ses flancs, la peinture s’écaillait et le pot d’échappement crachait un épais nuage noir.
Elle avait choisi une place quelques rangs derrière le chauffeur, qui fumait comme un pompier.
À l’arrière, une dizaine d’hommes ne cessaient de la dévorer des yeux depuis qu’elle était montée à bord. Pourtant, elle n’avait rien d’affriolant avec ses vêtements sales et tachés de boue, ses traits ravagés par l’épuisement. Mais elle était la seule femme.
Le moteur émettait un bruit sourd et inquiétant dans les descentes. L’air lourd de l’habitacle, mélange de vieille sueur et de cigarillos, collait à sa peau.
Malgré ses efforts, elle n’était pas parvenue à ouvrir sa vitre ; chaque virage lui soulevait le cœur.
Ses yeux restaient fixés sur le dossier du siège devant elle, tandis que ses doigts serraient convulsivement son portefeuille. Elle repensait aux dernières heures et à son ami qui avait disparu. L’inquiétude la rongeait.
L’obscurité s’épaissit encore et les crêtes des montagnes s’estompèrent dans le noir. À un moment, le moteur ronfla et elle redressa la tête.
Ce que j'en pense :
Je suis toujours étonné que je puisse passer complètement à côté d’un livre ayant eu autant de prix. C’est vrai qu’on a envie de tourner les pages, de connaître la suite. Mais que tout cela parait plat, convenu et assez mal écrit. L’histoire d’amour, en particulier, parait souvent très « cucul ».
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"Au-delà de la mer" de Paul Lynche - Albin Michel
Présentation de l'éditeur :
« Muets de saisissement, Hector et lui regardent le monde se recomposer dans une magnificence de couleurs. Comme s’ils étaient les premiers à contempler des ciels pareils. Chacun commence à entrevoir la vérité de l’autre, à deviner qu’ils sont tous les deux pareillement démunis au cœur de la vérité des choses. Et qu’au sein d’une telle immensité, ce qu’un homme porte en son cœur n’a plus guère de poids. »
Malgré l’annonce d’une tempête, Bolivar, un pêcheur sud-américain, convainc le jeune Hector de prendre la mer avec lui. Tous deux se retrouvent vite à la merci des éléments, prisonniers de l’immensité de l’océan Pacifique. Unis par cette terrifiante intimité forcée et sans issue, ils se heurtent aux limites de la foi et de l’espoir, à l’essence de la vie et de la mort, à leur propre conscience.
Dans ce face-à-face d’une intensité spectaculaire, Paul Lynch explore la condition humaine avec une force digne d’Hemingway ou de Camus, et s’impose définitivement comme un virtuose des lettres irlandaises.Première page :
Ce n’est pas un rêve de tempête qui suit Bolivar dans la ville, mais plutôt les paroles qu’il a surprises la veille au soir, sans doute dans le bar de Gabriela, et qui lui donnent à présent l’impression de rêver. Qui sait, cela vient peut-être de ce qu’ont raconté Alexis et José Luis – ces deux-là s’y entendent pour semer la pagaille. En tout cas elle persiste, cette impression de rêve. La sensation d’un monde qu’il aurait connu et puis oublié, un appel venu des lointains de la mer.
Ses pieds chaussés de sandales suivent la route et lui font franchir le pont branlant. Des paillotes désertes à cette heure, la plage caparaçonnée de tortues venues nicher dans le sable. Sur le rivage quelque chose attire son regard, qui s’était porté vers le large. Autour d’un jerrycan échoué, un cercle brillant de poissons morts – des popochas. Il rajuste sa casquette de base-ball et s’avance sur la plage.
Il n’y en a qu’une douzaine, se dit-il, mais quand même. Personne ne veut y toucher, pas même les mendiants. Il y a un poison dans les rivières que personne n’expliquera jamais.
Ce que j'en pense :
C’est un huis clos en pleine mer entre deux personnages assez éloignés l’un de l’autre. C’est aussi une réflexion philosophique sur la vie, sur le passé et le le futur. Jusqu’à la moitié du roman on peut y trouver quelques raisons d’être un peu agacé : des répétitions, les deux personnages qui paraissent un peu caricaturaux… Il faut lire ce roman jusqu’à la fin pour vraiment l’apprécier mais je n'irai pas jusqu'à comparer l'auteur avec Camus ou Hemingway.
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"Le cul entre deux chaises" de Joseph Incardona - BSN presse
Présentation de l'éditeur :
André Pastrella est à Joseph Incardona ce qu'Arturo Bandini est à John Fante : un alter ego par lequel l'auteur - avec générosité et un pessimisme ironique - relate les vicissitudes d'un antihéros qui lui ressemble. On y passe à la moulinette le monde du travail, l'amour, le sexe, la solitude des night-clubs, et cette nécessité qui s'impose comme une bouteille jetée à la mer : devenir écrivain.
Entre strip-teaseuses impavides, patrons foireux et voisins récalcitrants, un roman drôle, amer et lucide.Première page :
C'était la mi-février, je venais d'avoir vingt-deux ans. Depuis trois mois, je travaillais comme coursier pour une clinique de gynécologie-obstétrique. J'utilisais ma propre voiture et on me défrayait de l'essence. Du lundi au vendredi, je livrais près d'un millier de radiographies à des cabinets médicaux. Sur la banquette arrière de ma Fiat 126 « Bambino », je transportais chaque jour l'intimité de centaines de femmes inconnues. C'était bien plus qu'un simple boulot de livreur : j'étais l'incarnation moderne de l'ange Gabriel. J'avais des responsabilités. Je bossais dur.
Le chef de clinique était un gars plutôt sympa. Au début, il m'était arrivé de m'emmêler les pinceaux, livrant une radiographie à un médecin plutôt qu'à un autre, pourtant jamais il ne m'accabla du moindre reproche. Sincèrement, je crois que c'était un type bien mais ce matin-là, à peine entré dans le hall, la réceptionniste m'invita à me rendre sur-le-champ dans son bureau.
Je montai à pied les trois étages, croisant des infirmières joliment moulées dans leurs camisoles vert pomme et frappai à sa porte. Il me salua, me fit asseoir. Je savais parfaitement ce qui m'attendait. J'avais été viré des dizaines de fois pour des dizaines de raisons différentes, mais la procédure restait la même.
Il se racla la gorge, hésita et se décida finalement à cracher le morceau :
- Monsieur Pastrella, avez-vous une idée de la raison pour laquelle je vous ai convoqué ce matin ?
Ce que j'en pense :
Voilà un roman drôle et très bien écrit dans la lignée d'auteurs comme John Fante ou même Bukowsky. C'est foncièrement pessimiste mais il y a de l'ironie et le personnage de Pastrella, bien sûr complètement paumé et solitaire, est quand même très sympathique. C'est le premier livre que je lis de Joseph Incardona mais je pense que ce ne sera pas le dernier.
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"Le CV de Dieu" de Jean-Louis Fournier - Le livre de poche
Présentation de l'éditeur :
Le ciel était fini, la terre était finie, les animaux étaient finis, l’homme était fini. Dieu pensa qu’il était fini aussi, et sombra dans une profonde mélancolie. Il ne savait à quoi se mettre. Il fit un peu de poterie, pétrit une boule de terre, mais le cœur n’y était plus. Il n’avait plus confiance en lui, il avait perdu la foi. Dieu ne croyait plus en Dieu. Il lui fallait d’urgence de l’activité, de nouveaux projets, de gros chantiers. Il décida alors de chercher du travail, et, comme tout un chacun, il rédigea son curriculum vitae...
Première page :
Le ciel était fini, la Terre était finie, les animaux étaient finis, l'homme était fini.
Dieu pensa qu'il était fini aussi, et il sombra dans une profonde mélancolie.
Il ne savait à quoi se mettre. Il fit un peu de poterie, pétrit une boule de terre, mais le cœur n'y était plus. Il n'avait plus confiance en lui, avait perdu la foi. Dieu ne croyait plus en Dieu.
Il lui fallait d'urgence de l'activité, de nouveaux projets, des gros chantiers.
Il décida alors de chercher du travail et, comme tout un chacun, il rédigea son curriculum vitae et fit une lettre de motivation.
Le C.V. était imposant, la lettre bien tournée, sa candidature fut immédiatement retenue.
Dieu fut convoqué sur Terre, au siège d'un grand groupe, pour une semaine de tests et d'entretiens divers.
Consacrée à des rendez-vous quotidiens au siège du groupe, la semaine de Dieu était chargée ; dès le lundi matin, il avait un entretien avec le directeur du personnel.
Ce que j'en pense :
Encore un bon moment passé dans l'univers de Jean Louis Fournier (très proche de celui de Desproges). C’est un livre plein d’humour mais ce n’est pas gratuit, cet humour peut provoquer de la réflexion. Le CV de Dieu se lit d’une traite et cela fait beaucoup de bien. Je recommande également la version théâtre avec Jean François Balmer et Didier Bénureau…mais vous risquez d’en mourir de rire !
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"Les filles de Monroe" de Antoine Volodine - Seuil
Présentation de l'éditeur :
Il pleut presque sans cesse, dans la vaste cité psychiatrique isolée de tout. Le long des rues obscures, entre les vieux bâtiments, errent infirmiers, malades et policiers, ainsi que d’autres créatures au statut incertain. Le pouvoir médical et politique continue à s’exercer sur les hospitalisés de basse catégorie, et, bien que rusant et mentant en permanence, malades et morts obéissent.
Toutefois, cet ordre immuable est remis en cause par une menace : Monroe, un dissident exécuté des années plus tôt, envoie depuis l’au-delà des guerrières ayant pour mission de rétablir la logique du Parti et le cours naturel de l’Histoire. Breton et son acolyte qui pourrait tout aussi bien être son double ont la charge de débusquer les revenantes, au moyen d’une lunette spéciale. Mais rapportent-ils bien ce qu’ils voient ? Dans la pénombre, il n’est pas facile de distinguer un mort d’un vivant… Et les sentiments ont une logique qui n’est pas forcément celle de l’État.
Première page :
La fille resta suspendue un instant à la corniche qui courait le long du troisième étage, puis elle tomba et disparut dans l’obscurité luisante de la rue Dellwo. Elle s’appelait Rausch. Rebecca Rausch. Trente ans plus tôt, je l’avais follement aimée. Et ensuite, elle était morte.
Après la brève traînée noire de cette chute, il n’y eut aucun changement au cœur de la nuit. L’image sans couleur était très nette mais il ne s’y passait rien. Il avait plu. Des gouttes froides se rassemblaient sous les fils électriques qui reliaient les maisons et, avec régularité, elles se détachaient pour s’écraser beaucoup plus bas, sur les pavés ou sur les flaques, après un bref scintillement et, sans doute, une note cristalline. C’était une image fixe, mais rien n’empêchait d’y superposer une discrète bande sonore. Des tintements espacés d’après la pluie. En dehors de cela, aucun bruit ne donnait vie au décor. Deux lampadaires sur trois étaient éteints. Pas une seule lumière ne brillait derrière les fenêtres. Au milieu de la chaussée, les rails du tramway paraissaient en piteux état, émergés ou noyés selon les creux et les bosses du sol.
La fille était toujours là, en chien de fusil sur le pavé. Au bout de cinq minutes, elle remua.
Ce que j'en pense :
L’univers de Volodine est très étrange, un peu spécial, assez noir et plutôt désespéré. Le monde qu’il décrit est un monde d'après le totalitarisme, d’après la catastrophe et les guerres, un monde qui touche à sa fin. On ne distingue plus le rêve et la réalité, les vivants et les morts. Cela peut bien sûr déconcerter mais ça vaut vraiment le coup de pénétrer dans ce monde vertigineux, un peu fou et pas mal schizophrène. L’écriture participe elle aussi à cette immersion originale et inquiétante.
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"Perdus en forêt" de Helle Helle - Phébus
Présentation de l'éditeur :
Dans le nord du Danemark, un homme et une femme courent dans la forêt. Ils se croisent par hasard alors que la nuit les surprend. Ils se perdent, se retrouvent, passent la nuit dans un abri à souffrir du froid et de la soif, à parler beaucoup. Hors de toute couverture réseau, la forêt de conte semble se refermer sur eux.
Dans ce nouveau roman, la célèbre romancière danoise Helle Helle dit simplement et avec humour la croisée des chemins, les petits bruits de la forêt et les battements du cœur – mais aussi la fatigue, l’effroi, l’angoisse d’un jogging ordinaire qui vire au cauchemar.
Première page :
Ce n’est pas moi. Pas comme ça, pas debout derrière un arbre, dans la forêt. Les feuilles tombent. Quarante-quatrième semaine de l’année, ce sont les dernières.
Je croyais être en train de courir toujours tout droit. Mais je repassais continuellement près du même trou d’eau avec ses mêmes fougères fanées. Je tournais à gauche et encore à gauche, plus tard, je prenais toujours à gauche et puis à droite, aussi, et encore une fois à droite. Je prenais bonne note de tout ça, c’était avant l’ampoule.
Maintenant, le soleil est plus bas dans le ciel et je ne suis pas seul. Il y a une femme sur le chemin. Elle fouille dans sa poche, elle a un bandeau sur le front. Une veste de survêtement nouée autour des hanches. Elle porte quelque chose à ses lèvres, puis regarde directement par ici. Les muscles de sa mâchoire montent et descendent. Mais elle ne m’a pas vu, son regard glisse plus loin, vers la couronne des arbres, elle casse son cou en arrière. Elle reste un moment ainsi, peut-être qu’il y a quelque chose, là-haut. Elle arrive à mâcher dans cette position. Je lève la tête pour voir, mais il n’y a que le ciel bleu au-dessus des branches tordues. La lune est là, elle s’est levée tôt.
Ce que j'en pense :
Je n’ai pas eu souvent l’occasion de lire de la littérature danoise. Avec ce roman on se retrouve dans un univers très original. L’écriture est particulièrement brillante et nous fait découvrir les deux personnages perdus dans la forêt, par de petites touches banales et très ordinaires. C’est vrai que le lecteur peut aussi se retrouver perdu s’il n’accepte pas de rentrer dans ce jeu de l’auteure qui se permet également de laisser la fin en pointillés.
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