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"Après la guerre" de Hervé Le Corre - Rivages/Noir
Présentation de l'éditeur :
Bordeaux dans les années cinquante. Une ville qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre mondiale et où rôde l’inquiétante silhouette du commissaire Darlac, un flic pourri qui a fait son beurre pendant l’Occupation et n’a pas hésité à collaborer avec les nazis. Pourtant, déjà, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a commencé : de jeunes appelés partent pour l’Algérie.
Daniel sait que c’est le sort qui l’attend. Il a perdu ses parents dans les camps et est devenu apprenti mécanicien. Un jour, un inconnu vient faire réparer sa moto au garage où il travaille. L’homme ne se trouve pas à Bordeaux par hasard. Sa présence va déclencher une onde de choc mortelle dans toute la ville. Pendant ce temps, d’autres crimes sont commis en Algérie…
Première page :
Un homme est sur une chaise, les mains liées dans le dos. Il ne porte qu'un slip et un gilet de peau, il ne bouge pas, mâchoire pendante, menton sur la poitrine, et il respire par la bouche d'où s'étire, depuis les lèvres éclatées, un filet de bave sanguinolente. Sa poitrine est secouée à chaque inspiration par des sanglots, peut-être, ou des haut-le-cœur. Son arcade sourcilière droite est ouverte et saigne sur l'œil gonflé qui n'est plus qu'un œuf noirâtre. A son front bleuit une bosse énorme. Du sang a coulé de sa figure sur son maillot de corps. Il y en a aussi par terre.
La pièce est seulement éclairée par la lampe suspendue au-dessus du billard qui dispense un cône de lumière jaune et laisse dans l'ombre le reste: quatre tables de bistrot, rondes, et leurs chaises rangées autour, un tableau de marque, un meuble de rangement. Il y a bien des appliques fixées aux murs, avec de petits abat-jour verts, mais sans doute personne n'a-t-il jugé bon de les allumer.
Autour de l'homme assis se tiennent trois types qui pour le moment ne disent rien et se contentent de fumer, debout. Ils sont un peu essoufflés, on entend leurs respirations saccadées s'apaiser peu à peu. L'un d'eux, surtout, corpulent et grand, tousse et s'étouffe presque et finit par écraser sa cigarette sous son soulier. Manches retroussées sur des muscles puissants.
Ce que j'en pense :
Très beau roman, assez dense, entre camps de concentration et guerre d’Algérie qui fait surgir des fantômes d’après guerre (ou d’avant guerre !). Les personnages ont une grande profondeur et la frontière entre le bon et le mauvais en chacun d’eux parait souvent fragile. Le récit est très bien conduit et la ville de Bordeaux parait souvent bien grise à la fin de ces années cinquante !
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"Un flic bien trop honnête" de Franz Bartelt - Seuil cadre noir
Présentation de l'éditeur :
Dans une petite ville de province, un assassin prolifique terrorise les arrêts de bus et les passages piétons : plus de quarante cadavres sont à déplorer. Quatre ans que l’inspecteur Gamelle, dépressif et fraîchement largué, ainsi que le bourrin, son adjoint cul-de-jatte, pataugent dans la semoule. Quatre ans que les astres refusent de s’aligner pour leur donner une piste. Sacré Saturne !
Bien loin de laisser tomber l’affaire, Gamelle sera amené à se poser les mauvaises questions, à se méfier des bonnes personnes et à suivre les idées saugrenues d'un aveugle particulièrement intrusif…
Première page :
Les choses ne se sont pas passées comme l’ont raconté certains journalistes pour se donner un style ou pour faire oublier celui qui leur collait à la plume.
D’abord, ce n’était pas la ligne S, mais la ligne 17. Ensuite, le type n’avait pas vingt-six ans. Il paraissait à peu près la moitié de son âge, ce qui n’en faisait ni un perdreau de l’année ni un faisan antique, mais un homme dans la force de sa maturité. La cinquantaine avantageuse. Enfin, ce jour-là, il ne portait pas un chapeau mou avec cordon, mais un bonnet de plongée surmonté d’une aigrette en matière synthétique.
Précisions qui ne manquent pas d’intérêt, ce type s’appelait Wilfried Gamelle, inspecteur de police.
En revanche, il est exact, comme l’a rapporté le chroniqueur approximatif, que ce type se soit fâché contre un voyageur qui lui avait donné l’impression de le bousculer à chaque fois que quelqu’un montait dans le bus.
Dans un premier temps, il l’avait traité de « grossier », de « paysan sans vache », de « loquedu en peau de porc ».
Ce que j'en pense :
Bien sûr c’est une histoire complètement incertaine, les personnages sont « bizarres », excessifs, l’intrigue peut paraître un peu baclée à la fin… mais c’est du Bartelt avec son humour burlesque et souvent piquant. L’écriture est splendide et est parfaitement adaptée à ce genre. On sent que l’auteur s’est amusé en l’écrivant. Je souhaite que tous les lecteurs aient pris le même plaisir que moi à cette lecture (qui appelle une suite !)
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"La république des faibles" de Gwenaël Bulteau - La manufacture des livres
Présentation de l'éditeur :
Le 1er janvier 1898, un chiffonnier découvre le corps d’un enfant sur les pentes de la Croix Rousse. Très vite, on identifie un gamin des quartiers populaires que ses parents recherchaient depuis plusieurs semaines en vain. Le commissaire Jules Soubielle est chargé de l’enquête dans ce Lyon soumis à de fortes tensions à la veille des élections. S’élèvent les voix d’un nationalisme déchainé, d’un antisémitisme exacerbé par l’affaire Dreyfus et d’un socialisme naissant. Dans le bruissement confus de cette fin de siècle, il faudra à la police pénétrer dans l’intimité de ces ouvriers et petits commerçants, entendre la voix de leurs femmes et de leurs enfants pour révéler les failles de cette république qui clame pourtant qu’elle est là pour défendre les faibles.
Première page :
Pierre Demange se réveilla dans son lit bien avant l'aube de ce premier jour de l'an 1898. Comme chaque nuit, il avait rêvé de montagnes de vieux journaux, d'affiches de campagnes électorales et de tracts syndicaux, de tous les papiers, en fin de compte, que l'on jetait au rebut. Les nouvelles se périmaient en un rien de temps et c'était une bonne chose, car on fabriquait la pâte à partir des imprimés de la veille dont il remplissait sa charrette de chiffonnier pour la revente.
En se mettant à sonner, les cloches de Fourvière lui rappelèrent le passage inexorable du temps. Le carillon enfonçait les clous un peu plus loin dans son cercueil. Dans ses jeunes années, il avait creusé des tombes, un peu partout, en plein champ lors de la guerre, ou dans des cimetières en place de concessions expirées. Les morts prenaient la place des morts. Les occupants précédents avaient disparu. Il ne restait ni cercueil, ni ossement, rien à part de la poussière et l'idée de retourner à la poussière le fit frissonner. Il avait beau être croyant, l'espoir de résurrection s'amenuisait avec l'âge.
Ce que j'en pense :
C’est un polar historique qui fait revivre « la belle époque » dans un quartier de Lyon où la vie n’est pas forcément « belle » pour la plupart des habitants. Le contexte social et politique est assez bien rendu bien que parfois cela paraisse plutôt schématique et simplifié. L’intrique est complexe au début mais, au final, l’auteur s’en sort bien. C’est un premier roman qui a de l’ambition mais qui ne me parait pas complètement réussi, sans doute parce que les personnages principaux manquent d’épaisseur et que l’écriture ne semble pas toujours correspondre au contexte de l’époque.
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"Norlande" de Jérôme Leroy - Points
Présentation de l'éditeur :
Clara, 17 ans, fait partie des rescapés d’un massacre qui a ensanglanté la paisible Norlande. Comme Clara n’arrive plus à parler, elle écrit à une amie française. Elle cherche à comprendre l’attentat qui a décimé ses camarades pacifistes, cet été-là, sur l’île de Clamarnic. Elle raconte, aussi, une manipulation amoureuse et une innocence perdue. Norlande,enquête poignante d’une jeune femme sur elle-même, est un suspense psychologique tout en nuances. Et l’autopsie de nos sociétés en proie à la paranoïa identitaire.
Première page :
Non, ma chère Émilie, je ne peux pas dire que j’aille beaucoup mieux. Je ne peux toujours pas sortir de la clinique Reine-Astrid. D’ailleurs, je n’en ai aucune envie. Cela fait, si je compte bien, huit mois que je m’y trouve.
Huit mois.
Peut-être en faudra-t-il neuf, comme pour une gestation, comme pour une nouvelle naissance. Est-ce que l’on peut renaître à dix-sept ans, dis-moi, Émilie ?
Toi, n’as-tu pas attendu d’avoir quinze ans ? Je n’ai rien oublié de ton histoire, tu sais. Celle que tu m’as racontée à la fin de ton premier séjour en Norlande, quand tu es devenue ma correspondante française venant du lycée Corneille de Rouen au gymnasium de Ladore, à Ardis, notre capitale.
Je sais à quel point tu as aimé, aussi, le premier été que tu as passé ici. Cela t’avait émerveillée parce que le soleil ne se couchait jamais. Nous allions souvent faire du camping sauvage en bande et tu adorais, comme nous tous, te baigner dans la région des Lacs, à deux heures du matin,…Ce que j'en pense :
C’est un roman prévu pour des ados, ce qui explique sans doute son côté un peu trop simpliste. Le pays de Norlande est bien trop parfait et les habitants bien trop « gentils ». Bien sûr on pense au massacre dans une ile de Norvège en 2011. L’histoire se lit facilement, amène son petit lot d’émotions et questionne sur la montée des extrémismes. Ce roman a la forme d'un journal adressé à une amie française mais ça parait très artificiel pour montrer que les idées d'extrême droite progressent partout.
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"Vanda" de Marion Brunet - Le Livre de Poche
Présentation de l'éditeur :
Personne ne connaît vraiment Vanda, cette fille un peu paumée qui vit seule avec son fils Noé dans un cabanon au bord de l’eau, en marge de la ville. Une dizaine d’année plus tôt elle se rêvait artiste, mais elle est devenue femme de ménage en hôpital psychiatrique. Entre Vanda et son gamin de six ans, qu’elle protège comme une louve, couve un amour fou qui exclut tout compromis. Alors quand Simon, le père de l’enfant, fait soudain irruption dans leur vie après sept ans d’absence, l’univers instable que Vanda s’est construit vacille. Et la rage qu’elle retient menace d’exploser.
Première page :
Elle l’a reconnu tout de suite, s’est arrêtée de respirer, glacée. Il boit près des enceintes, remue à peine dans un balancement raisonnable de la tête, le sourire ennuyé du mec qui n’a pas traîné dans ce genre d’endroit depuis longtemps.
Qu’est-ce qu’il fout là ? Vanda ne l’a pas revu depuis presque sept ans. Sept ans c’est loin, une autre vie – formule éculée pour une réalité charnelle. Le type ne bouge pas, il y a longtemps déjà il était comme ça, incapable de danser, le corps qui s’empêche, il n’y avait que dans le sexe qu’il devenait mouvant, surprenant de désordre et prêt à l’envol.
Tournant le dos à la scène, Vanda traverse le groupe de danseurs, pousse les corps en sueur, les torses qui tressautent et se heurtent. Les visages luisants et orangés sont tordus dans la lumière, les dents à découvert. À mesure que le groupe sur scène s’excite de plus en plus et que l’ambiance du bar monte encore d’un cran, elle réalise qu’elle est déjà drôlement bourrée. Le vertige de l’alcool et l’impression d’être envahie sur ses terres. Lui, près des enceintes, il ne fait plus partie de son paysage.
Ce que j'en pense :
Très beau portrait d’une mère beaucoup trop possessive, qui a appelé son fils « Bulot ». L’environnement social est très présent : manifestations, travail épuisant et mal considéré, difficulté pour se loger et vivre décemment.... On sent bien sûr poindre le drame qui parait inéluctable. C’est un livre fort, à l’atmosphère assez pesante. Rien à voir donc avec ces fameux romans « qui font du bien ».
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"Sidérations" de Richard Powers - Act'es Sud
Présentation de l'éditeur :
Dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, un père embarque son jeune fils souffrant de troubles du comportement dans une sidérante expérience neuroscientifique. Richard Powers signe un nouveau grand roman questionnant notre place dans le monde et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.
Première page :
Mais alors, on risque de ne jamais les trouver ? Nous avions installé le télescope sur la terrasse, par une claire soirée d’automne, à la lisière d’une des ultimes poches de ténèbres de l’Est des États-Unis. C’était dur à dénicher, des ténèbres aussi belles, et ainsi concentrées en un seul lieu elles illuminaient le ciel. Nous avons pointé la lunette vers une trouée entre les arbres, au-dessus de notre cabane de location. Robin a écarté son œil du viseur : mon triste et singulier garçon au bord de ses neuf ans, en porte-à-faux avec ce monde.
“Tu as absolument raison. On risque de ne jamais les trouver.”
Je m’efforçais toujours de lui dire la vérité, dès lors que je la connaissais et qu’elle n’était pas mortelle. Quand je mentais, de toute façon, il le sentait.
Mais il y en a partout, non ? Vous l’avez prouvé, les mecs.
“Enfin, pas vraiment prouvé.”
Ce que j'en pense :
C’est un livre dans la lignée de « L’arbre monde », qui nous parle de l’urgence de changer notre façon de vivre et percevoir notre environnement. Les relations entre le père et le fils sont très émouvantes. On découvre au fil de la lecture un autre rapport à l’univers, à l’imaginaire et aux mondes (celui du dehors et celui du dedans). C’est formidablement bien documenté et très bien écrit. Peut-être cela pourra en rebuter certains au tout début mais, si c’est le cas, il faudra un peu insister pour apprécier cet ouvrage.
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"Un autre bleu que le tien" de Marjorie Tixier - Fleuve
Présentation de l'éditeur :
« Je ne raconte ce rêve à personne alors il reviendra.
Ainsi vont les songes qui ne se laissent pas découdre. »
Restée mutique suite à un traumatisme dont elle n’a aucun souvenir, Rosanie vit à l’abri du monde depuis vingt ans, enfermée dans son univers feutré, protégée par son sauveur devenu son mari. Un jour, attirée par les thermes de la ville — elle qui craint pourtant l’eau — elle rencontre Félice, une femme sportive et volontaire, brisée par un tragique accident. Fascinée par sa force de caractère, Rosanie se résout à abattre le mur de silence derrière lequel elle s’est terrée pendant si longtemps.
Porté par un style poétique et envoûtant, Un autre bleu que le tien dresse le portrait, entre forces et fêlures, d’une femme qui se bat contre son propre silence pour retrouver sa vérité.Première page :
Je suis morte il y a longtemps. De cette mort de terre et de vent qui s’oublie aussitôt. Ma mémoire est un corps en décomposition caché dans un cercueil de fer. Je vis dans le froid, je vis dans la nuit, je vis de ma destruction survécue.
Mon nom est Rosanie et j’écoule mes jours dans l’isolement d’un obscur chalet perché dans les Pyrénées. Mon mari m’a sauvé la vie sans savoir qu’il sacrifiait la sienne.
Je ne sais pas aimer, j’aime mal, j’ai été mal apprise.
Il s’en accommode et me laisse à mes errances contenues, mais je me sauve encore la nuit dans mon sommeil.
Heureusement la mer est loin maintenant.
Mon mari m’a emmenée chez lui pour me mettre à l’abri et me donner un sursis. Je l’en remercie par respect, au fond de moi je doute que cela en ait valu la peine. Voilà plus de vingt ans que je suis muette.
Je ne suis une charge pour personne, mais je pèse lourd sur le cœur de mon époux, je le sais. Les médecins prétendent qu’il n’y a pas de raison à mon silence. Moi, je sais qu’il y en a une.
Ce que j'en pense :
C’est un livre qui voudrait faire du bien, avec de beaux personnages et beaucoup de bons sentiments. On devine très vite que la fin sera très positive. C’est donc assez convenu. parfois cela frôle le ridicule (et même le « cucul », lorsque les deux cygnes s'envolent !). Je l’ai lu jusqu’à la dernière page, sans y croire une seule seconde, parce que ça m’a fait un peu de bien (de façon assez fugace).
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"Prendre les loups pour des chiens" de Hervé Le Corre - Rivages/noir
Présentation de l'éditeur :
Après avoir purgé cinq ans pour un braquage commis avec son frère Fabien, Franck sort de prison. Il est hébergé par les parents de Jessica, la compagne de Fabien. Le père maquille des voitures volées, la mère fait des ménages. Et puis il y a la petite Rachel, la fille de Jessica, qui ne mange presque rien et parle encore moins. Qu’a-t-elle vu ou entendu dans cette famille toxique où règnent la rancoeur, le mensonge et le malheur ? Dans une campagne écrasée de
chaleur, à la lisière d’une forêt de pins étouffante, les passions vont s’exacerber jusqu’à l’irréparable.Première page :
Ils l’avaient libéré une heure plus tôt que prévu et comme il pleuvait il avait dû attendre sous l’espèce d’abribus installé au rond-point, l’entrée de la prison derrière lui avec pour tout paysage un champ de maïs, de l’autre côté de la route, et le parking, ses portiques et ses grilles et les allées et venues des visiteurs, femmes, enfants, vieillards, le claquement sourd des portières. Il s’était penché et avait vu les hauts murs qui couraient sur près de quatre cents mètres et ça lui avait remué l’échine d’un méchant frisson, il s’était assis sur le banc de bois, enfoncé sous cet abri, pour en voir le moins possible alors qu’il avait rêvé pendant ces années d’embrasser des yeux l’horizon tout entier sans le moindre obstacle. Il avait posé son gros sac de voyage à ses pieds, gonflé et bosselé, pesant le poids d’un âne mort à cause des livres qu’il avait fait venir pendant sa détention et qu’il tenait à faire sortir comme il aurait emmené des animaux familiers doux et fidèles.
Il a eu le temps de fumer trois cigarettes en écoutant cesser le clapotement de la pluie s’éloignant vers le sud avec des grognements sourds d’orage. La lumière a surgi brusquement, écartant d’un coup les nuages, allumant soudain une joaillerie toc jetée sur toute chose et frémissant avec des bruits de bouche.
Ce que j'en pense :
C’est un livre noir, sombre, assez violent et « sauvage ». L’écriture de l’auteur est terriblement efficace pour nous restituer cette atmosphère, pour nous décrire les personnages : les Vieux, Jessica, Frank et surtout la petite Rachel. C’est du vrai roman noir et social qui mérite bien sa place en « littérature ». Le seul reproche que je peux faire à l’auteur ce sont les répétitions de la conjonction « et », qui est bien sûr volontaire de sa part comme « figure de style » mais qui, pour moi, n’apporte rien au livre.
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"Là où la caravane passe" de Céline Laurens - Albin Michel
Présentation de l'éditeur :
« C’était la coutume, quand il y avait un étranger qui arrivait, de l’emmener voir la Grande Dora qui savait toujours ce qu’il convenait de faire après l’avoir jaugé. »
Chaque année, le 15 août, ils se réunissent pour le pèlerinage de Lourdes. Ils ? Une communauté d’irréductibles gitans, habitée par les légendes, le goût de l’ailleurs, l’appétit de vivre. On trouve parmi ces funambules de l’improbable Dora la Magnifique aux pouvoirs divinatoires qui veille sur le clan avec Amos, le père Genepi et sa compagne, Theresa la Harpie, mais encore Miguel, Livio, Sara, et puis l’Étranger qui, le temps d’un été, marquera à jamais les mémoires.
Céline Laurens restitue avec un bonheur d’écrire jubilatoire cet univers rebelle aux normes, qui fascine et interroge toujours. Elle lui rend son mystère, son humanité, ses amours et ses tragédies. Mêlant réalisme et onirisme, ce premier roman révèle un contre-monde où vivre à l’excès, et jusqu’au vertige, ses passions.Première page :
Je me rappelle cet été il y a un peu plus de vingt ans, c’était encore du temps de la Grande Dora. Il a débarqué des fougères longeant le champ qu’on nous avait alloué à Lourdes, à cette période de l’année où nous autres gitans « on apportait la pluie », comme disent les payou. À l’époque, je n’avais pas encore appris à débusquer les signes, je ne déchiffrais pas les indices de ce qui va se produire et dont la nature regorge pour qui sait l’écouter. Je n’avais pas encore nettement conscience de ce qui se cache derrière l’abord simple du vol d’un rapace, d’un silence soudain ou d’un éboulis de pierres. Le monde sous nos yeux, c’est comme une peinture où se mêlent les perspectives du passé, du présent et du futur, c’est tout mélangé comme les lignes d’amour, de vie et de fortune sur une paume qui serait la Terre. Là où l’aveugle ne fait que constater l’irrémédiable, l’initié le renifle en amont et apprend à l’accepter. Cet été d’il y a un peu plus de vingt ans, j’aime le conter à mes enfants dévêtus des oripeaux d’une quelconque époque, pour que ça parle plus au cœur
Ce que j'en pense :
L’intrigue, assez mince, se faufile dans différentes histoires et récits. Certains de ces récits sont très oniriques et parfois assez délirants (mais dans le bon sens du terme). On découvre beaucoup de personnages qui ne manquent pas d’originalité. Tout cela aurait pu faire un excellent livre mais quelque chose cloche. C’est sans doute du à l’écriture qui parait parfois besogneuse et qui hésite entre un style proche de l’oralité et un style plus « littéraire ».
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"Traverser la nuit" de Hervé Le Corre - Rivages Noir
Présentation de l'éditeur :
Louise élève seule son fils Sam, son "petit magicien", seul capable d'enchanter un peu une vie qu'elle a reconstruite à grand-peine après un deuil terrible et des années de dérive. harcelé et brutalisée par son ancien compagnon, elle va croiser la route du commandant Jourdan. Cet homme tour à tour sombre, révolté et désemparé, enquête avec son groupe sur des meurtres de femmes : un tueur sévit dans les rues de Bordeaux, un être banal et terrifiant, mû par une rage destructrice.
Trois trajectoires irrémédiablement liées. Ainsi chacun traverse sa nuit...Première page :
Immobiles et sombres sous l’éclairage bleuté que la pluie pulvérise sur eux, soufflant de petits nuages de condensation vite dispersés par le vent traînard qui rôde le long des voies du tramway, ils attendent là, une dizaine, transis, emmitouflés, et se tiennent à l’écart de l’homme inanimé gisant sous un banc. Ils affectent de regarder ailleurs, loin, pour apercevoir l’approche d’une rame, ou bien scrutent l’écran de leur téléphone qui leur fait un visage blafard et creux. On est au mois de mars et depuis des jours le crachin fait tout reluire d’éclats malsains, de lueurs embourbées.
À 6 h 22 une femme a appelé le 17 pour signaler qu’un type était allongé par terre sous un banc d’une station de tramway près de la cité des Aubiers, et qu’il était en tee-shirt malgré le froid, et que son tee-shirt était couvert de sang, enfin, elle pensait que c’était du sang, et que l’homme ne bougeait pas, peut-être était-il mort, raison pour laquelle, a-t-elle ajouté, elle préférait prévenir la police.
Bientôt, les yeux se tournent vers les gyrophares de la voiture de police et les silhouettes des trois flics qui en descendent, se découpant et dansant contre ces durs éclats désynchronisés. On les observe qui s’approchent de l’homme décidément inerte, tournant le dos à tout le reste, la tête posée sur son bras replié comme un qui fait une sieste sous un arbre, l’été, fatigué par la chaleur. À la femme qui se trouve le plus près, un policier demande si c’est elle qui a appelé…
Ce que j'en pense :
Roman sombre, très noir et plutôt pessimiste. L’intrigue est magnifiquement conduite et on sent monter la tension au fil des pages jusqu’au dénouement qui m’a vraiment secoué. Le personnage de Louise peut éclairer de temps en temps cette traversée de la nuit (mais la lueur risque de paraître un peu fugace !). Il y a de la pudeur, de la retenue, de l’empathie mais aucune complaisance . C’est superbement écrit. Pour moi c’est un « coup au cœur ».
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