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Par GéHa le 16 Février 2024 à 17:38
"Le murmure" de Christian Bobin - Gallimard
Présentation de l'éditeur :
« Les poètes meurent au combat même quand ils meurent dans un lit. Ils livrent bataille toute leur vie. » Hanté depuis toujours par la mort, dès ses premiers écrits, Christian Bobin paria pour le salut par la poésie, plaçant sa vie « sous une pluie de lettres noires et blanches ». Même le dernier instant du poète — qui meurt juste après avoir achevé son dernier livre — y était vu de façon prémonitoire : « la bouteille d’encre noire renversée dans le fond de l’âme ». Commencé chez lui, au Creusot, en juillet 2022, poursuivi sur son lit d’hôpital durant les deux mois précédant sa mort, le 23 novembre 2022, Le murmure appartient à ces œuvres extrêmes écrites dans des conditions extrêmes. Dans ce livre ultime, le plus humain des poètes se révèle être aussi le plus héroïque. À l’hôpital, celui dont le rire explosif sonnait comme un défi réalise à la lettre cette parole de Rimbaud : « Je suis de la race qui chantait dans le supplice. » Le murmure est la trace d’une course entre l’amour et la mort. À la fin c’est l’amour qui gagne, faisant de ce chant un sommet d’humanité. Le destin qui s’achève sur une telle victoire ne s’arrête pas là. Il commence.
Extrait :
Les femmes sont des caravanes de charme. Elles séduisent jusqu’au soleil. Et tant pis si la dernière verdine de cette caravane abrite la Reine Mélancolie, toujours alitée. Cela n’empêche pas cœur et main de danser.
Je n’ai pas compris ton départ. Parfois ne pas comprendre est une bénédiction. Ton départ s’appelle « mort », mais ce mot ne dit rien. J’essaie de revoir dans l’air qui m’entoure la danse de tes mains quand tu parlais. Tes doigts partaient en vacances. Ta main chatouillait le menton d’un éléphant bien trop sage.
Une sonate de Schubert est une petite bête sauvage prise au piège et tirant, tirant sur le collet qui lui rougit de plus en plus le cou. Je ne comprends rien à sa musique. J’aime bien lorsque je ne comprends plus. Il me semble que Schubert a inventé une musique plus longue que la vie...
Je n’ai que mon cœur pour traverser la vie,rien d’autre que cette valise de réfugié en cuir rouge, cadenassée à la naissance.
Ce que j'en pense :
Beaucoup d’émotion à la lecture de ce livre qui, à mon avis, fait partie des meilleurs livres de Bobin. Même si parfois on le trouve un peu nébuleux on y retourne. Quelque chose nous attire dans ces mots (et entre les mots) et nous fait mieux comprendre ce qui nous entoure et ce que nous sommes. Grâce à lui on peut, en nous, retrouver nos silences. Et nous continuerons à écouter Sokolov !
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Par GéHa le 13 Décembre 2023 à 11:49
"Mes forêts" de Hélène Dorion - éditions Bruno Doucey
Présentation de l'éditeur :
Son nom semble la relier à une constellation, mais sa présence au monde la rend indissociable des paysages qu’elle traverse : Hélène Dorion vit environnée de lacs et de forêts, de fleuves et de rivages, de brumes de mémoire et de vastes estuaires où la pensée s’évase. Dans ce recueil écrit au coeur d’une forêt, elle fait entendre le chant de l’arbre, comme il existe un chant d’amour et des voix de plain-chant. « Mes forêts… », dit-elle dans un souffle qui se densifie de poème en poème. Et l’on entre à pas de loup dans une forêt de signes où l’on déchiffre la partition de la vie sur fond de ciel, sur fond de terre, sur fond de neige, de feuillages persistants et de flammes qu’emporte le vent, de bourgeons sertis dans l’écorce et de renouvellement. Un chemin d’ombres et de lumière, « qui donne sens à ce qu’on appelle humanité ».
Extrait :
Je m'incline souvent
devant la figure unique
d'un jeu de feuilles et de branches
la maigre cicatrice de l'écorce
le nœud dans le bois dur
l'arbre n'échappe pas à sa souffrance
il n'est rien d'autre que lui-même
avec la longue respiration des saisons
il regarde par les yeux du vent
de ses racines
et de l'anneau des années
il ignore tout
et je m'incline encore
pour écouter son voyage immobileCe que j'en pense :
Hélène Dorion nous fait découvrir ses forêts qui sont aussi les nôtres. Nous sommes à la fois feuillage et racine, écorce et humus… L’autrice nous entraîne avec une grande sensibilité dans une nature intime qui joue avec le temps. Il y a quelque chose de vivifiant à lire et relire cette poésie.
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Par GéHa le 13 Novembre 2023 à 14:35
"Debout dans les fleurs sales" de Thomas Vinau - Le Castor Astral
Présentation de l'éditeur :
365 poèmes à déployer, dépareillés, mal coiffés, 365 poèmes pour les jours froissés, pour les petites mains, pour les mains frôlées, 365 poèmes à goupiller, 365 poèmes à dorloter, 365 fois pourquoi pas, 365 raisons de se lever, ou de rester couché, 365 poèmes de secours, 65 poèmes en forme de fenêtre, ou de peut-être, 365 poèmes à se passer sous le manteau, à cacher, à glisser dans la poche de ceux qu’on aime, 365 poèmes debout, tachés, pas fâchés, 365 façons d’essayer, 365 poèmes à perdre, à retrouver, à laisser s’envoler.
Extrait :
Salut copain
La nuit parfois
nous retrouvons nos morts
et puis en nous réveillant
nous reprenons doucement conscience
de l'espace et du temps
ce n'était qu'un rêve
le passé reste le passé
on est triste
mais quand même
ça fait plaisir
de les avoir
un tout petit peu retrouvés
Ce que j'en pense :
De la poésie comme j’aime. Jamais déçu avec Vinau. C’est la vie, en petites tranches de réel, de quotidien, de banal. Avec ce regard décalé, curieux, amusé, inquiet, questionnant, parfois mélancolique, souvent plein d’humour. La poésie est là, dans cette façon d’être présent à ce qui nous entoure.
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Par GéHa le 12 Octobre 2023 à 21:37
"Les poètes sont des monstres" de Christian Bobin - Lettres vives
Présentation de l'éditeur :
Ce nouveau recueil de Christian Bobin est un véritable Manifeste à l'usage de qui veut échapper à cette modernité toujours plus performante de notre monde cartésien tourné vers le profit, un monde qui court à sa perte en renonçant à la beauté, à la poésie, à l'amour. "La poésie n'est pas un genre littéraire. Les vrais poètes ont un coeur en acier trempé. Ce sont des penseurs primaires qui savent que la lutte est sans pitié avec l'enfer de la Raison." La vie de la poètesse Anna Akhmatova est un exemple : cernée par l'ombre de Staline, elle est modèle de résistance et son oeuvre, hymne à la vraie vie : "Nous croyons, nous, modernes, avoir inventé la brièveté des messages, aussi leur rapidité. Mais qu'est-ce en regard de l'éclair du poème. La reine Akhmatoiva donne congé en un seul vers."
Extrait :
L'écriture manuscrite sur le papier blanc : les pas de l'âme sur la neige — le plus sûr miroir d'une personne, à nulle autre semblable. Les déliés, les boucles, les ratures, les épines de la signature la révèlent plus que ses mots.
Dans la rue, des milliards de secrétaires. Leurs doigts tapent sur le crâne des lettres plus vite que le pic-vert sur l'écorce de l'arbre. L'irréel est notre passion et elle est sinistre. Il faut à l'amour des lèvres réelles avec des mots réels qui en sortent, vibrant comme le brin d'herbe aux dents du berger.
Ce que j'en pense :
Bobin a toujours de ces éclats extraordinaires qui justifient l’existence de ses livres. Avec lui les mots ont une énorme importance. Peut-être est-il un peu plus désespéré et un peu moins mystique dans ce dernier ouvrage. Il faut dire que notre monde va sans doute vers son effacement. Il est temps que l’homme retrouve sa place face à la machine.
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Par GéHa le 25 Octobre 2022 à 10:57
"Le muguet rouge" de Christian Bobin - Gallimard
Présentation de l'éditeur :
Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. Il me dit qu’un jeune homme là-bas, dans une montagne du Jura, a inventé ce muguet et envisage de le répandre sur le monde. Il m’invite à aller le voir. L’homme tient une auberge au bord d’un lac. J’y mange une omelette, bois un vin de paille. Quand je lui parle des fleurs, mon hôte me conduit au-dessus d’un pré en pente : des dizaines de muguets rouges fraîchement poussés s’apprêtent à incendier la plaine. Je reviens vers mon père, lui demande qui est cet homme. Il me répond que c’est une partie de sa famille dont il ne m’avait encore jamais parlé. Va les voir, me dit-il, apprends à les reconnaître.
Extrait :
La calligraphie fut inventée au Japon au quatrième siècle d'après les empreintes de pattes d'oiseaux sur le sable d'une plage.Au vingt et unième siècle le monde travaille à effacer les oiseaux et l'écriture manuscrite- mais partout et toujours sur Terre des petites mains ailées de deux, trois, quatre ans, barbouillent du papier, cassent des craies, peignent sur les murs et les vêtements, "en mettent partout ", écrivent.
Ce que j'en pense :
Comme souvent chez Bobin il y a un côté énervant avec parfois un certain hermétisme et l'ensemble peut paraitre décousu. Mais on retrouve des parties vraiment exceptionnelles qui nous font entrer dans son monde qui est aussi un peu (ou beaucoup) le nôtre. Cette mosaïque qui nous paraissait confuse devient alors un magnifique champ (chant) de muguets rouges.
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Par GéHa le 18 Juin 2022 à 11:05
"Vivement pas demain" de Thomas Vinau - La fosse aux ours
Présentation de l'éditeur :
Le froid est plein d'or. La mort pleine de couleurs. Dimanche trottine tout nu sur le parquet gris clair. Demain c'est la rentrée. On pousse les volets, on ouvre les fenêtres et les portes des cages. Un rayon beau comme un sabre de bourreau tranche la robe des dernières roses blanches qui osent tenir tète à septembre. Le café´c'est doux et amer à la fois c'est sûrement pour cela que je l'aime tant. Pas à pas dans les petits pas d'aujourd'hui. Une joue salie de chocolat, l'odeur d'un cartable neuf. On va laisser le froid un petit peu entrer puis en fermant la porte le chaud sera plus chaud. Chaud comme un dimanche de rentrée. La vie c'est aussi beau que de jouer aux billes avec des crottes de lapin. Vivement pas demain.
Petites proses de rien posées là dans la main.Extrait :
J'écris avec le ventre plein. Dans des habits propres, pas loin d'un café chaud, je n'ai pas de leçon à donner. J'écris avec un toit sur la tête, des enfants à côté, une princesse tout prés, je n'ai pas de leçon à donner. J'écris devant un feu, devant un arbre ou une fenêtre, avec le soleil ou la pluie, je n'ai pas de leçon à donner. Le temps se pose sur mon épaule et les oiseaux sur ma terrasse. J'ai des souvenirs autour du cou et un demain à portée de main, je n'ai pas de leçon à donner. Je n'écris pas pour donner de leçon. J'écris pour goûter. Et pour faire goûter. J'écris pour garder et pour regarder. J'écris pour ce matin de fin janvier dans lequel nous marchons ensemble jusqu'à l'école sous la lune froide comme un réverbère givré. Ce matin où vous avez dansé comme des clowns et des rois devant votre bol. Où je cueille, tel le bouquet de pivoines du jour, les élastiques tortillés de cheveux disséminés dans chaque pièce. ...
Ce que j'en pense :
Beaucoup de textes, comme souvent chez Thomas Vinau, m'ont véritablement enchanté : les petits riens du quotidien, l'humour, le décalage, le vocabulaire.... Mais je n'ai pas trouvé dans l'ensemble du livre la magie de l'écriture de l'auteur qui m'emportait dès les premières pages.
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Par GéHa le 10 Mai 2022 à 11:44
"et recoudre le ciel" de Gaëlle Josse - Notabilia
Présentation de l'éditeur :
« J'ai écrit ces textes dans des carnets, des cahiers, sur des pages volantes, des agendas, des tickets, des listes, des enveloppes, des marque-pages ou dans mon téléphone ; je les ai écrits dans les gares, les trains, les hôtels, les cafés, chez moi, dans le métro, en ville et en d'autres lieux.
La poésie demeure pour moi comme une apparition, une attention portée à l'infime, comme le surgissement d'un éclat fugace au cœur de nos vies. L'éclosion d'invisibles soleils. Peut-être, à cet instant-là, les mots peuvent-ils saisir quelque chose de ce jaillissement.
Elle est le regard nu, débarrassé de ce qui pèse, de ce qui encombre, elle est le retour à la source, la lumière qui s'attarde sur un mur, le frémissement qui parcourt un visage, la chaleur d'un corps aimé, elle est le mot que l'on attend et qui nous sauvera peut-être.
J'ai eu envie de vous offrir aujourd'hui cette moisson de mots cueillis jour après jour, qu'ils aient été d'orage ou d'allégresse. Mais vivants. Vivants, oui, et vibrants, toujours. » Gaëlle JosseExtrait :
l'odeur d'herbe fraîche de la nuit
le cri d'un oiseau entre les feuilles
un vêtement oublié sur un banc
il frissonne comme
un bouquet abandonné
et peut-être il danse
lorsque tout dort au jardinCe que j'en pense :
J’ai lu tous les livres de Gaëlle Josse et je les ai tous beaucoup appréciés. Je savais qu’elle avait commencée par la poésie avant d’écrire ses romans. On retrouve dans ses poèmes toute sa finesse d’écriture, cette grande attention qu’elle porte au presque rien et cette douceur simple mais chaleureuse qui la caractérise dans ses écrits. C’est un livre qu’on a envie d’offrir à ceux que l’on aime.
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Par GéHa le 2 Octobre 2021 à 17:36
"L'Au-delà de nos âges" de Albane Gellé - Cheyne
C’est un livre paru l’année dernière aux éditions Cheyne, autour du thème « grandir ». Je l’ai apporté en Bretagne la semaine dernière. Je l’ai lu et relu dans le gite ou sur la plage de sable blanc, assis sur un rocher ou dans un fauteuil ; je l’ai lu entre deux paysages marins, entre deux balades sur les sentiers, entre deux verres de blanc. À chaque fois, en parcourant ces textes je me suis dit : Voilà, c’est exactement ça, c’est ce que j’aurais aimé écrire ici et maintenant. Comme le dit Siméon c’est de l’ordre de la révélation intime et c’est en même temps fragile et précaire… et surtout très émouvant et jubilatoire. Allez, je vous en mets quelques extraits :
la terre est bleue
et fait son bruit de grande roue
les rivières continuent
de s’éloigner des sources
nous arrosons les géraniums
en oubliant le plus souvent
de sourire
En quelques mots et 60 petites pages, Albane Gellé nous conduit d’avant la naissance (dans la nuit d’une femme) jusqu’à la vieillesse (après mourir il a vivre / d’amour).
C’est certainement le livre de l'autrice qui m’a procuré le plus d’émotion.
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Par GéHa le 1 Avril 2021 à 09:27
"Je suis cet homme, fiction suprême" de Bernard Bretonnière, dessins de Jean Fléaca aus éditions L'oeil ébloui
Ce que j'en pense :
C'est un texte anaphorique qui dresse un portrait assez implacable d'un homme qui pourrait être n'importe qui de nous. Il dévoile ainsi toutes nos peurs, nos lâchetés, nos questionnements mais aussi nos joies, nos moments de tendresse.
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Par GéHa le 13 Avril 2019 à 20:26
"Je, d'un accident ou d'amour" de Loïc Demey - Cheyne éditeur
Présentation de l'éditeur :
Depuis, ma pensée se désordre. Mon langage se confusion. D’un commencement comme ça. Je voiture Adèle jusqu’à la gare de l’Est, elle se départ chez elle, distance d’ici. Bien trop lointain. Elle m’amour, je l’énormément, mais elle s’en retour. A trois centaines de kilomètres.
Extrait :
Depuis, ma pensée se désordre. Mon langage se confusion. D'un commencement comme ça. Je voiture Adèle jusqu'à la gare de l'Est, elle se départ chez elle, distance d'ici. Bien trop lointain. Elle m'amour, je l'énormément mais elle s'en retour. À trois centaines de kilomètres.
Je l'au-revoir du quai, elle me cadeau d'un baiser avant disparition. Je larmes et m'injuste, je me rage, je me seul en voiture. Je me ville, je me boulevard périphérique, je sanglots de plus grand et m'aveuglement avec peine et courroucé. Je me vitesse et perte de contrôle.
Je dérapage. Un arbre. Ma tête se coup dans le volant. Je m'inconscient puis m'ouverture un oeil. Rétroviseur. rien de gravité ou presque rien.
Depuis ma pensée se confusion et mon langage se désordre.Ce que j'en pense :
Très beau livre qu’on a envie de lire à voix haute. C’est à la fois un court roman et de la poésie qui nous prend aux tripes. Le désordre amoureux est magnifiquement rendu. Le coup de foudre nous fait perdre la tête, nous laisse sans mots… et surtout sans les verbes (sauf à la toute fin). Un coup de cœur !
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