• Toutes les femmes sauf une

    "Toutes les femmes sauf une" de Maria Pourchet - Pauvert

    Présentation de l'éditeur :

    Dans une maternité, une femme épuisée, sous perfusion. Elle vient d’accoucher d’une fille, Adèle, et contemple le berceau, entre amour, colère et désespoir. Quelque chose la terrifie au point de la tenir éveillée, de s’interdire tout repos : la loi de la reproduction. De génération en génération, les femmes de sa lignée transportent la blessure de leur condition dans une chaîne désolidarisée, sans merci, où chacune paye l’ardoise de la précédente. Elle le sait, elle en résulte, faite de l’histoire et de la douleur de ses aînées. Elle voudrait que ça s’arrête. Qu’Adèle soit neuve, libre.
    Alors comme on vide les armoires, comme on nettoie, elle raconte. Adressant à Adèle le récit de son enfance, elle explore la fabrique silencieuse de la haine de soi qui s’hérite aussi bien que les meubles et la vaisselle. Défiance du corps, diabolisation de la séduction, ravages discrets de la jalousie mère-fille… Elle offre à Adèle un portrait tourmenté de la condition féminine, où le tort fait aux femmes par les femmes apparaît dans sa violence ordinaire.
    Et c’est véritablement un cadeau. Car en mettant à nu, rouage après rouage, la mécanique de la transmission, elle pourrait parvenir à la détruire.

    Première page :

    Du plomb dans la tête

    Deux murs violets, disons mauves, deux murs gris, le reste en blanc. Un trépied à perfusion dit encore potence, les règles d'or de l'allaitement (quatre) et, sans aucun rapport, une affiche CGT « personnel de santé, défendez vos droits », le 1er mai. C'est passé. On m'étale sur un genre de toile cirée, entre deux éventrées de la veille. Les chambres particulières tu peux toujours demander mais c'est fonction des places, y'a pas de j'ai payé qui tienne. Ce n'est pas une toile cirée mais un drap, l'odeur c'est normal. À mes pieds, le berceau qu'il ne faut pas renverser, toi dedans, une étiquette dessus : Adèle. Je suis collante, évidée, plus près du fond que jamais. Je connais quelque chose comme la terreur d'un naufragé, et sa fatigue. Je cherche un truc, n'importe quoi, qui ressemblerait à qui je fus, la veille encore. Je n'aperçois ni mon visage, ni mon sac. Désormais la fin du monde commence à midi.

    Ce que j'en pense :

    Un livre sur la transmission, entre femmes, entre mères. Un livre où se déverse un trop plein de colère très liée à l’enfance de l’autrice. Cela pourrait donner un livre puissant mais ce n’est pas le cas. Il y a trop de haine, de méchanceté, de mépris pour sa mère mais aussi pour le personnel de la maternité. Cela devient lourd et très gênant.

    Toutes les femmes sauf une

     

     

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  • Le bonheur est dans le crime

    "Le bonheur est dans le crime" de Ali Rebehi - édition du masque

    Présentation de l'éditeur :

    Qu’il fait bon vivre à Valmont-sur-Loing…
    Alice Bonneville, professeure de droit pénal à la retraite, y coule des jours tranquilles dans sa magnifique demeure en pierre, où elle vit avec son neveu Arthur, psychologue clinicien. Entre son club de lecture, ses activités bénévoles, ses marches en forêt de Fontainebleau, ses grandes conversations avec sa femme de ménage Inès et ses visites à son meilleur ami Haroun, qui tient le salon de thé du coin, il reste tout juste à Tante Alice le temps de se consacrer à sa passion : la pâtisserie.
    Sa paisible existence se voit troublée lorsque son voisin Paul Faye, auteur à succès des Cinq Vérités celtiques, est retrouvé assassiné. Qui donc a pu s’en prendre à ce pape du développement personnel ?
    Entre deux sablés à l’orange, Tante Alice décide de mettre son nez dans l’enquête. Ah, si son défunt mari pouvait l’aider, il aurait sans doute bien des choses à lui dire ! À commencer par cette deuxième vérité celtique : « Il est impératif de dialoguer avec ton instinct. »

    Première page :

    Impossible pour Alice Bonneville de rater le gros type en sueur, en survêtement trop serré, yorkshire en laisse, qui avançait vers elle. Impossible de faire comme si elle ne l’avait pas vu lancer son paquet de cigarettes vide entre les fougères et la bruyère cendrée. Elle venait d’achever sa randonnée quotidienne sous un ciel gris orangé, encore épatée d’avoir pu observer à la jumelle deux jeunes chevreuils. Une pure joie d’exister l’avait saisie tout au long de sa promenade. Ce sagouin avait tout gâché. Elle ferma les yeux et tenta de se raisonner. Non ma chérie, tu ne saisiras pas cette bûche à tes pieds, tu ne prendras pas ton élan pour devenir le bras armé de Némésis, la déesse grecque de la vengeance, ou sa servante la plus dévouée. Tu ne le frapperas pas avec la force du plus grand batteur de baseball de tous les temps. Tu ne deviendras pas la spécialiste incontestée du hachis de tête humaine. Abandonnant à regret ces idées destructrices, Alice s’avança vers le type au yorkshire et dégaina sa carte du club de lecture de Valmont-sur-Loing.

    Ce que j'en pense :

    C’est un livre plutôt pédant et très léger pour ne pas dire futile. Si on enlève les descriptions de cuisine : recettes, vaisselles… cela allège déjà de la moitié du livre. L’intrigue est pratiquement inexistante. Il faut attendre un peu plus de la moitié du livre pour avoir un cadavre ! Certains passages sont proches du ridicule et les personnages ne sont pas attachants.

    Le bonheur est dans le crime

     

     

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  • Pauvre folle

    "Pauvre folle" de Chloé Delaume - Seuil

    Présentation de l'éditeur :

    Dans toutes les histoires d’amour se rejouent les blessures de l’enfance : on guérit ou on creuse ses plaies.

    Pour comprendre la nature de sa relation avec Guillaume, Clotilde Mélisse observe les souvenirs qu’elle sort de sa tête, le temps d’un voyage en train direction Heidelberg. Tandis que par la fenêtre défilent des paysages de fin du monde, Clotilde revient sur les événements saillants de son existence. La découverte de la poésie dans la bibliothèque maternelle, le féminicide parental, l’adolescence et ses pulsions suicidaires, le diagnostic posé sur sa bipolarité. Sa rencontre, dix ans plus tôt, avec Guillaume, leur lien épistolaire qui tenait de l’addiction, l’implosion de leur idylle au contact du réel.

    Car Guillaume est revenu, et depuis dix-sept mois Clotilde perd la raison. Elle qui s’épanouissait au creux de son célibat voit son cœur et son âme ravagés par la résurgence de cet amour impossible. La décennie passée ne change en rien la donne : Guillaume est toujours gay, et qui plus est en couple. Aussi Clotilde espère, au gré des arrêts de gare, trouver une solution d’ici le terminus.

    Première page :

    Une femme dans un train

    La fin du monde n’a pas du tout la forme prévue. Derrière la vitre embuée, Clotilde observe la neige couvrir avril ; le train qui l’emporte traverse autant de forêts mortes que de prés empoissés par des ruisseaux boueux. Elle regarde le décor se déliter lentement, l’époque s’appelle Trop tard, chacun est au courant, alors elle se demande comment font toutes ces bouches pour prononcer encore sérieusement le mot Avenir. Le vent se cogne au carreau en charriant de l’eau sale ; les flocons sont grisâtres comme les cendres estivales qui saupoudrent les piscines pendant que les gens y nagent, entourés d’incendies. Ainsi, comme tous, Clotilde traverse l’épreuve : c’est dur d’admettre qu’elle vit et ne vivra plus qu’à l’aune du seuil franchi, au creux de la déchirure, que sa seconde partie de vie habite la fin du monde.

    Sentir la terre s’ouvrir, les semelles engluées dans le séisme final, Clotilde a toujours su que ça lui arriverait. Sûrement parce qu’elle est une sorcière, ou qu’elle est si autocentrée…

    Ce que j'en pense :

    C’est un roman qui parait très autobiographique. Je suis très partagé après avoir fermé le livre (car je suis allé au bout !). Il y a de magnifiques paragraphes avec des trouvailles en terme d’écriture et aussi beaucoup d’humour. Et puis d’autres paragraphes sont particulièrement pénibles et agaçants et on n’a absolument aucune empathie pour le personnage de Clotilde.

    Pauvre folle 

    Pauvre folle

     

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  • Les petits

    "Les petits" de Marion Fayolle - magnani

    Présentation de l'éditeur :

    « Les Petits » de Marion Fayolle est un recueil de poèmes dessinés, digne successeur des « Coquins » et de « L’Homme en Pièces » ! Un livre qui nous parle comme jamais de la complexité du processus du devenir parent, de la construction de sa relation à l’enfant et à sa venue au monde. Un trésor à partager !

    Extraits :

    Les petits

    Les petits

    Ce que j'en pense :

    Qu’est-ce qu’être parent ? Qu’est-ce qu’être enfant ? Voilà un livre, sans un mot, qui suscite réflexion et aussi beaucoup d’émotion même si on est « d’anciens parents ». Les illustrations, dans la droite ligne de ses précédentes BD apportent beaucoup d’humour et de tendresse (avec une petite pointe de mélancolie).

    Les petits

     

     

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  • Je ne partirai pas

    "Je ne partirai pas" de Mohammad Sabaaneh - Alifbata

    Présentation de l'éditeur :

    Un oiseau se pose à la fenêtre d’une cellule et propose au détenu le pacte suivant : « Toi, tu fournis les crayons et moi, je fournis les histoires.»

    Chaque jour, armé de son crayon et de feuilles dérobées à l’enquêteur,  le prisonnier dessine ces histoires : celle de ce jeune couple qui n’arrive pas à franchir les checkpoints pour rejoindre à temps la maternité de Jérusalem ; celle d’un père et d’une fille séparés par la prison et qui se connaissent uniquement en photo ; celle d’une mère qui attend son fils sorti le matin pour aller à l’école et qui n’est jamais revenu…

    Au fil des pages, les récits rapportés par l’oiseau illustrent combien la prison est plus vaste qu’un simple bâtiment, combien elle va au-delà d’une cellule, s’étendant aux villes et villages.

    Mais c’est aussi la résistance des Palestiniens, leur espérance et leur refus de partir que l’auteur retrace avec force et poésie dans ces planches réalisées en linogravure à la suite de son expérience carcérale.

    Extrait :

    Je ne partirai pas

    Ce que j'en pense :

    Très beau roman graphique avec des dessins en linogravure particulièrement réussis. Alors que le conflit israélo palestinien connaît une période dramatique à Gaza, c’est un livre à lire et à laisser traîner sur les tables. On mesure avec quelle intensité les Palestiniens résistent et ne perdent pas espoir de vivre libres chez eux.

    Je ne partirai pas

     

     

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  • Le murmure

    "Le murmure" de Christian Bobin - Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    « Les poètes meurent au combat même quand ils meurent dans un lit. Ils livrent bataille toute leur vie. » Hanté depuis toujours par la mort, dès ses premiers écrits, Christian Bobin paria pour le salut par la poésie, plaçant sa vie « sous une pluie de lettres noires et blanches ». Même le dernier instant du poète — qui meurt juste après avoir achevé son dernier livre — y était vu de façon prémonitoire : « la bouteille d’encre noire renversée dans le fond de l’âme ». Commencé chez lui, au Creusot, en juillet 2022, poursuivi sur son lit d’hôpital durant les deux mois précédant sa mort, le 23 novembre 2022, Le murmure appartient à ces œuvres extrêmes écrites dans des conditions extrêmes. Dans ce livre ultime, le plus humain des poètes se révèle être aussi le plus héroïque. À l’hôpital, celui dont le rire explosif sonnait comme un défi réalise à la lettre cette parole de Rimbaud : « Je suis de la race qui chantait dans le supplice. » Le murmure est la trace d’une course entre l’amour et la mort. À la fin c’est l’amour qui gagne, faisant de ce chant un sommet d’humanité. Le destin qui s’achève sur une telle victoire ne s’arrête pas là. Il commence.

    Extrait :

    Les femmes sont des caravanes de charme. Elles séduisent jusqu’au soleil. Et tant pis si la dernière verdine de cette caravane abrite la Reine Mélancolie, toujours alitée. Cela n’empêche pas cœur et main de danser.

    Je n’ai pas compris ton départ. Parfois ne pas comprendre est une bénédiction. Ton départ s’appelle « mort », mais ce mot ne dit rien. J’essaie de revoir dans l’air qui m’entoure la danse de tes mains quand tu parlais. Tes doigts partaient en vacances. Ta main chatouillait le menton d’un éléphant bien trop sage.

    Une sonate de Schubert est une petite bête sauvage prise au piège et tirant, tirant sur le collet qui lui rougit de plus en plus le cou. Je ne comprends rien à sa musique. J’aime bien lorsque je ne comprends plus. Il me semble que Schubert a inventé une musique plus longue que la vie...

    Je n’ai que mon cœur pour traverser la vie,rien d’autre que cette valise de réfugié en cuir rouge, cadenassée à la naissance.

    Ce que j'en pense :

    Beaucoup d’émotion à la lecture de ce livre qui, à mon avis, fait partie des meilleurs livres de Bobin. Même si parfois on le trouve un peu nébuleux on y retourne. Quelque chose nous attire dans ces mots (et entre les mots) et nous fait mieux comprendre ce qui nous entoure et ce que nous sommes. Grâce à lui on peut, en nous, retrouver nos silences. Et nous continuerons à écouter Sokolov !

    Le murmure

     

     

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  • Le grand secours

    "Le grand secours" de Thomas B. Reverdy

    Présentation de l'éditeur :

    Il est 7 h 30, sur le pont de Bondy, au-dessus du canal. C’est un de ces lundis de janvier où l’on s’attend à ce qu’il neige, même si ce n’est plus arrivé depuis très longtemps. Sous l’autoroute A3 qui enjambe le paysage, un carrefour monstrueux, tentaculaire, sera bientôt le théâtre d’une altercation dont les conséquences vont enfler comme un orage, jusqu’à devenir une émeute capable de tout renverser. Nous la voyons grossir depuis le lycée voisin où nous suivons, au fil des cours et des récréations, la vie et le destin de Mo et de Sara, de leurs amis, mais aussi de Candice, la prof de théâtre, de ses collègues et de Paul, l’écrivain qu’elle a fait venir pour un atelier d’écriture.

    Tout au long de cette journée fatidique, chacun d’entre eux devra réinventer le sens de sa liberté, dans un ultime sursaut de vie.

    Première page :

    07:30

    Pont de Bondy

    Le canal à cette heure reflète les nuages de l’aube et file comme un trait d’argent, gris et sans éclat, sous le pont de Bondy et la rampe de l’autoroute A3 qui l’enjambe en s’envolant vers Roissy. Un peu plus loin s’alignent, le long de la nationale, les entrepôts et les magasins de marques qu’on reconnaît à leurs couleurs,jaune et rouge, rouge et blanc, jaune et bleu, et, sur l’autre rive, les usines de la cimenterie aux allures de carrière.

    C’est un de ces lundis de janvier où l’on s’attend à ce qu’il neige, même si ce n’est plus arrivé depuis des années.

    Accoudé à la balustrade du pont, Mo contemple en contrebas les rangées de tubes d’acier de diamètres variés du Comptoir général des fontes de Bobigny qui jouxte, en bordure du canal, le campement des Roms entouré de palissades, un bidonville de caravanes et de carcasses de voitures défoncées, de tuyaux de poêle bricolés en zinc, de tables en bobines de câbles, de toits de tôle et de cloisons de palettes, un village aux ruelles minuscules…

    Ce que j'en pense :

    C’est un excellent roman qui se déroule sur une seule journée et qui porte un regard documentaire sur un quartier et surtout sur le fonctionnement ordinaire d’un lycée. On pourrait presque lui reprocher ce côté un peu trop documentaire, mais son analyse est si juste et si minutieuse que ce reproche  est vite balayé. C’est aussi une belle ode à la littérature et aux ateliers d’écriture de poésie. Cette journée qui aurait pu basculer dans un vrai cauchemar laisse entrevoir quelque espoir. Et si "le grand secours" était la poésie ?

    Le grand secours

     

     

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  • La vie heureuse

    "La vie heureuse" de David Foenkinos - Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    "Jamais aucune époque n'a autant été marquée par le désir de changer de vie. Nous voulons tous, à un moment de notre existence, être un autre."

    Première page :

    1

    Éric Kherson appréhendait toujours de prendre l'avion. Il dormait en général assez mal la veille du voyage, se laissant dériver vers les pires scénarios possibles, imaginant tout ce qu'il laisserait derrière lui après sa mort violente dans un crash. Mais le désir d'ailleurs demeurait plus fort que la peur, dans ce combat incessant entre nos pulsions et nos frayeurs.

    2

    En tant que nouvelle directrice de cabinet du secrétaire d'État au Commerce extérieur, Amélie Mortiers était chargée de composer une équipe. Dès sa prise de fonctions, en mai 2017, elle avait pensé à Éric pour l'accompagner dans cette aventure. Ce choix plutôt insolite avait surpris son entourage. Elle aurait pu se laisser suggérer des profils aguerris par des chasseurs de têtes, mais non, elle avait préféré solliciter un camarade de lycée.

    Ce que j'en pense :

    Bien sûr l’auteur sait écrire et conduire un récit de façon à ce que les lectrices et lecteurs achètent le livre et le lisent en principe jusqu’à la fin ! Je suis donc allé jusqu’à la dernière page mais sans ressentir grand-chose ni pour l’histoire ni pour les personnages.

    La vie heureuse

     

     

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  • Jenny-les-vrilles

    "Jenny-les-vrilles" de Jeff Noon - La Volte

    Présentation de l'éditeur :

    Lorsque le détective privé John Nyquist descend du car au milieu des champs, il est déboussolé par les lumières naturelles et les espaces ouverts, n’ayant vécu que dans les villes denses et éclairées artificiellement.
    Bienvenue à Hoxley-sur-la-Vive, petit village hors du temps, où la vie des habitantes et habitants est rythmée chaque jour par de lourdes traditions : 357 saints y sont fêtés aléatoirement, et leurs règles scrupuleusement respectées du matin au soir. Ainsi, sainte Meade exige un vœu de silence absolu ; le lendemain, les saints Edmund et Alice obligent tout le monde à porter le masque et l’uniforme rituels…
    Comment mener l’enquête dans ces conditions ? Nyquist erre sur les traces de son père, porté disparu depuis vingt ans, que personne ne semble connaître à Hoxley. Nyquist a pourtant en sa possession une poignée de photographies le représentant dans ce village.

    Première page :

    LA FORTUNE DU FOU

    Nyquist s'essuya la bouche, resserra son manteau et son écharpe autour de lui, inclina son trilby sur son front, pour se donner une ombre dans laquelle se cacher. Comme ça ne suffisait pas, il ferma les yeux, ajoutant les ténèbres. ça ne suffisait toujours pas. Il ne pouvait pas fermer tous ses sens. Chants d'oiseaux, jeu incessant du vent. L'extérieur. Il avait la nausée. Et, Seigneur, c'était quoi cette odeur, des crottes d'animaux ? Ou des plantes en décomposition, ou de la chair morte ? Quand il tenta de regarder autour de lui, le vertige le reprit. Il devait se concentrer sur un objet, un seul, et il ne put choisir que la haie qui bordait un côté de la route. Il se mit à examiner les branchages, les épines et les vestiges d'une toile d'araignée, et il les fixa le plus longtemps possible, jusqu'à ce que son cœur reprenne un rythme normal

    Il se retourna au son d'une voix. Deux autres passagers, descendus du bus, le regardaient. Il leur adressa un signe de tête et une tentative de sourire, mais ils continuèrent à le dévisager, impassibles, puis sans un mot ils gagnèrent la porte d'un cottage.

    Nyquist observa les alentours. Il y avait un panneau indicateur avec trois directions : la route de campagne menait à Lockhampton dans un sens et à Bligh dans l'autre ; de l'autre côté d'un champ, c'était Hoxley. Partout où il regardait, partout, la lande à perte de vue. Effarant. Il y avait trop de grands espaces, trop de ciel. Peut-être ses affaires seraient-elles vite réglées, et il se retrouverait bientôt ici même, à attendre le bus qui le ramènerait à la gare.

    Ce que j'en pense :

    C’est un livre étonnant qui mélange un peu d’enquête (plus ou moins policière) et beaucoup de fantastique. On peut se perdre dans l’intrigue si on met du temps à lire ce roman. L’auteur est plein d’imagination et il faut vraiment lâcher prise pour le suivre dans ces aventures plutôt inédites dans une atmosphère qu’on qualifier de « gluante », et, ce qui ne gâte rien, c'est bien écrit.

    Jenny-les-vrilles

     

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  • Du même bois

    "Du même bois" de Marion Fayolle - Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    « Les enfants, les bébés, ils les appellent les “petitous”. Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.

    C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi. »

    Dans une ferme, l’histoire se reproduit de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer.

    Marion Fayolle crée un monde saisissant dont la poésie brutale révèle ce qui s’imprime par les failles, par les blessures familiales, comme dans les creux des gravures en taille-douce.

    Première page :

    La ferme

    La bâtisse est tout en longueur, une habitation d’un côté, une de l’autre, et au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme,le droit pour les vieux. On travaille, on s’épuise, et un jour, on glisse vers l’autre bout. C’est plus pratique, il y a une chambre au rez-de-chaussée, les escaliers sont moins raides, les pièces semblent disposées pour vieillir. Et puis, quand l’un meurt, le mari souvent, les enfants sont à l’autre bout, ça rassure, ça évite la solitude, ils regardent en passant s’il y a de la lumière, si les volets sont ouverts, si le linge est étendu, ils s’arrêtent en coup de vent pour mettre des bas à varices, recompter les cachets pour la tension et s’agacer un peu des oreilles qui ne les entendent plus. Et un jour, ils remarquent que c’est devenu dur de se lever la nuit pour les vêlages, que le corps fait mal. Ils le savent, bientôt, ça sera à leur tour d’aménager dans l’aile droite, d’occuper les pièces de la fin de vie. Mais tant qu’il reste la mémé, ça les rassure…

    Ce que j'en pense :

    J’aime beaucoup les BD de Marion Fayolle et leur univers très original à la fois  doux et rugueux mais toujours étonnant. Ce roman, très court, est pour moi un très beau coup de cœur qui montre l'originalité de l'autrice. Elle sait décrire le quotidien de cette ferme avec poésie mais sans cacher la rudesse de la vie paysanne. L’autrice nous fait découvrir ces personnages et leurs fantômes avec beaucoup d’émotion mais aussi avec une certaine distance. Ce livre déborde d’amour avec sobriété et pudeur.

    Du même bois

     

     

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