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Par GéHa le 30 Juillet 2015 à 09:22
"L'autre" de Enzo Cormann - éditions de Minuit
Présentation de l'éditeur :
Ignorant tout l'une de l'autre, Mado et Lila se sont crues durant quinze ans chacune la " moitié " du même homme. Peu de temps après qu'elles ont découvert, à la faveur d'un pataquès administratif,
qu'elles n'avaient somme toute été, durant toutes ces années, que des moitiés de moitié, la disparition inexpliquée de l'homme aux deux adresses provoque leur rencontre.Première page :
"L’HOMME AUX DEUX ADRESSES
(chez Mado)
LILA. – je suis passée fréquemment sous vos fenêtres ces dernières années
j’aime bien votre rue c’est tranquille
MADO. – je l’aime également quoiqu’à force d’y vivre je ne la voie plus
LILA. – vous avez raison on a vite fait de ne plus voir ce dont nous sommes le plus proche (un blanc)
je ne devrais pas être ici pas être ici
tranquille (mais je ne suis tranquille qu’en apparence) à vous parler comme on parle à quiconque
à me tenir comme je me tiens comme une femme ordinaire chez une femme ordinaire quand nous n’avons à nous deux rien d’ordinaire
bien sûr vous savez cela (je veux dire que vous et moi nous deux ensemble n’avons rien d’ordinaire)"
Ce que j'en pense :
Une pièce en trois parties. C'est assez particulier, insolite, et même un peu "bavard" au début. Et, au final, c'est une belle réflexion sur l'altérité et sur la création artistique.
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Par GéHa le 10 Juin 2015 à 16:45
"Le collier d'Hélène" de Carole Fréchette - Lansman
Présentation de l'éditeur :
Sur le point de quitter la capitale libanaise où elle séjournait en tant que congressiste, Hélène s’aperçoit tout à coup qu’elle a perdu son petit collier, un collier sans autre valeur qu’affective. Sans trop savoir pourquoi, elle s’aventure à la recherche des lieux qu’elle a rapidement visités au cours des derniers jours, dans l’espoir fou de la retrouver. Un chauffeur de taxi, Nabil, s’impose rapidement comme guide à travers les rues encombrées et les quartiers ravagés. Cette quête la mène jusqu’aux habitants de la ville meurtrie qui opposent leur propre souffrance à son malheur apparemment dérisoire.
Extrait :
"L'homme : Vous avez perdu votre collier ?
Hélène : Oui, c'est ça, et je me demandais si...
L'homme : Moi, j'ai perdu ma place sur la terre. Elle n'aurait pas glissé dans vos souliers ? J'ai perdu le carré où je peux poser mes pieds et dire ceci est à moi. Vous ne l'auriez pas trouvé, en vous déchaussant, le carré qui était sous mes pieds ? Et j'ai perdu "plus tard, j'aurai une maison avec un jardin", "plus tard, j'irai voir les pays froids et la neige qui tombe à gros flocons" et "plus tard, mes enfants auront un métier, ils seront médecin, professeur ou camionneur, ils auront une maison et un jardin et une place sur la terre". Et j'ai perdu "regarde mon fils, ma fille, voilà, le monde. Il t'appartient. Prends-le, explore-le, transforme-le. Fais-en ce que tu voudras". Il n'aurait pas glissé dans vos souliers, le futur de mes enfants ? Et j'ai perdu ma capacité de crier, vous ne l'auriez pas trouvée, à vos pieds, ma capacité de crier, de frapper le mur avec mon poing. Vous ne l'auriez pas trouvé mon cri dans votre sac, dans votre blouse, dans votre gosier. Ouvrez votre bouche."
Ce que j'en pense :
Très belle histoire qui raconte deux douleurs : la douleur d'exister et la douleur de vivre dans un pays en guerre. C'est d'une grande sensibilité et d'une grande force.
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Par GéHa le 19 Mai 2015 à 09:05
"Face à la mère" de Jean-René Lemoine - Les solitaires intempestifs
Présentation del'éditeur :
La mère est morte, tragiquement, dans un pays lointain, en proie à la violence et à la déraison. Quelques années après, le fils choisit de lui donner rendez-vous, par delà la mort, pour lui confier, dans cet entretien différé, tout ce qu’il n’a jamais su, jamais osé lui dire.
Tout au long de ce chant d’amour, le fils reparcourt le tumulte d’une relation de quarante années. Les images enfouies de la mère réaffleurent et s’effacent tour à tour, se superposant aux clichés des continents, des pays et des villes parcourus ensemble, pour se dissoudre enfin dans le cataclysme de la terre natale.
Peut-on, avec les armes impalpables de la poésie, recoudre, retisser le réel ? Peut-on encore, dans l’effroi du monde, inventer des mythologies, tenter, à travers elles, de rester debout devant le désastre, éclairer le chaos, lancer une passerelle vers l’autre plutôt que s’arroger le monopole de la douleur ?
C’est le fragile et téméraire défi de Face à la mère.Première page :
"- Voici venu le moment de me présenter à vous pour cet entretien si longtemps différé. Je me présente à vous dans la nudité de l'errance, sans courage, sans véhémence et sans ressentiment. Je me présente tel que je suis, boitillant sur le fil que j'ai suspendu dans les cimes à une hauteur vertigineuse et, même au-dessus de ce vide, je dois vous dire que je vais infiniment mieux. Il me faut cependant vous confier ma peur que vous ne veniez pas au rendez-vous où je vous ai conviée pour vous parler - autant l'avouer tout de suite - d'amour ; ou que, perdu dans l'immense altitude, je ne m'aperçoive pas que vous êtes arrivée. Alors, si vous le voulez bien, quand vous serez enfin là, faites-moi un petit signe - un bruissement de robe, un soupir - pour que je sache que je ne parle plus au vent qui fait tanguer ma caravelle mais que, au cœur du souffle qui m'enveloppe et m'étreint, il y a toute votre présence, et qu'au terme de votre labyrinthique voyage, vous avez retrouvé le chemin qui menait jusqu'à moi.
En attendant cela, je m'offre à votre invisible regard et, dans l'incertitude où je suis, je m'installe dans la patience comme le funambule agrippe le bâton qui lui permettra de rester en apnée dans l'infini des cieux."Ce que j'en pense :
Texte magnifique sur l'absence, la mort, l'amour… C'est rempli d'émotion, c'est tragique, mais sans pathos. La langue poétique de Jean-René Lemoine sait nous faire pénétrer l'intime avec beaucoup de sincérité et de profondeur. Nous sommes nous aussi, "face à la mère".
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Par GéHa le 13 Mai 2015 à 07:21
"La peau d’Élisa" de Carole Fréchette - Actes Sud-Papiers
Présentation de l'éditeur :
Une femme seule, assise devant nous. Une femme de chair, d'os et de sang, qui se livre à un étrange rituel. Avec délicatesse, elle raconte des histoires d'amour. Des histoires vraies qui sont arrivées dans des lieux précis d'une ville précise. Elle insiste avec minutie sur tous les détails intimes : le cœur qui bat, les mains moites, le souffle court, la peau qui frémit sous les doigts. Tour à tour, elle évoque le souvenir de Sigfried qui était fou, de Jan qui voulait tout et tout de suite, d'Edmond qui l'attendait sous les arbres l'après-midi et aussi de Ginette qui était boulotte et d'Anna qui lui a dit les choses qu'on rêve d'entendre... Qui est-elle, cette femme au passé multiple et pourquoi raconte-t-elle tout cela ? Elle parle avec fébrilité, comme si elle était en danger, comme si son cœur, sa vie, sa peau en dépendaient. Peu à peu, à travers ses récits, elle révèle ce qui la pousse à raconter et livre le secret insensé qu'un jeune homme lui a confié, un jour, dans un café...
Première page :
"Élisa est assise et s'adresse au public. On la sent un peu inquiète. On ne sait pas depuis combien de temps elle est là ni depuis combien de temps elle parle.
Élisa. Qu'est-ce que je disais ? Ah oui. Ça s'est passé à Saint-Gilles, quand je portais des pantalons péruviens et des ceintures larges comme ça, avec des clochettes. Je le croisais tous les midis, clans la rue de la Glacière. Une rue terne et triste. Il était assez petit, et pas vraiment beau, mais il avait... Je sais pas... Il était différent. J'avais dix-sept ans, peut-être dix-huit. Je portais des grandes ceintures avec des clochettes qui tintaient quand je marchais. Les entendez-vous, les clochettes ? Lui aussi portait des vêtements colorés : des chemises de pirate, des pantalons bouffants, des vestes bariolées. Il y avait une espèce de compétition entre nous ; c'était à celui qui irait le plus loin dans l'extravagance. Quand on se croisait, on se regardait du coin de l'œil, et on comptait nos points, en silence. Quelquefois, son coude frôlait le mien et ça faisait une petite étincelle qui éclairait pendant quelques secondes la rue de la Glacière, qui était terne et triste. Et puis, j'allais à mon école et lui à la sienne. Et c'était tout. Notre vie de jeunes gens volages suivait son cours. Plus tard, j'ai changé d'école ; on s'est retrouvés dans la même classe et on est devenus amis. On a fait toutes sortes de folies. On allait se baigner dans les piscines privées, la nuit. Un jour, il a enlevé le toit de son auto au chalumeau, pour faire une décapotable. Quand il pleuvait, il fallait la vider avec un petit seau, comme une chaloupe. On riait beaucoup. Il était fou, Sigfried. Il s'appelait Sigfried. C'était gai, mais on ne s'aimait pas encore. Pas complètement… Je veux dire avec la peau et la bouche et tout. (Elle s'arrête.) Excusez-moi.
Elle prend un petit miroir et regarde son visage, attentivement. Elle passe le doigt autour de sa bouche, puis elle reprend."
Ce que j'en pense :
C'est presque un monologue, toujours adressé au public. Le texte est magnifique, assez troublant, poétique, rempli d'émotion. A la fin du livre l'auteure raconte comment cette histoire est née à partir d'un projet "écrire la ville" à Bruxelles et cela apporte encore plus de force au texte.
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Par GéHa le 4 Mai 2015 à 10:39
"Laisse moi te dire une chose" de Rémi De Vos - Actes Sud - Papiers
Présentation de l'éditeur :
Condamnée par une maladie incurable, une femme reçoit à l’hôpital les visites de son fils. Ils essaient de dialoguer, à leur manière : face aux griefs de la mère contre le théâtre qu’elle déteste, le fils, comédien, oppose le silence. Il supporte aussi les récits de l’ami de sa mère et les histoires graveleuses de son propre frère avec qui il ne s’entend pas. En parallèle, il imagine une pièce autour de Vidal, un jeune prisonnier fantasque qui réussira, lui, à s’échapper.
Première page :
"LA MERE. Quand te décideras-tu à chercher un métier sérieux ? De toute façon c’est trop tard maintenant, tu es trop vieux, tu ne peux même plus passer les concours.
LE FILS. Tout va bien, tu as tort de t’inquiéter…
LA MERE. Je m’inquiète depuis que tu t’es mis en tête de faire du théâtre. D’où t’est venue cette idée ? Pas de la famille en tout cas. Personne dans la famille ne s’intéresse à ça, au théâtre. Personne ne s’y est jamais intéressé. C’est tellement ridicule. Le mot même est ridicule. La première fois que j’ai entendu de ta bouche que tu voulais faire du théâtre, j’ai trouvé ça tellement ridicule. Comme si tu voulais devenir marin pêcheur ou je ne sais pas, quelque chose comme ça, impossible à comprendre. Une idée idiote voilà tout, comme il en pousse dans la tête des jeunes qui se cherchent, c’est comme ça qu’on dit – qui se cherchent ? – qui ont du mal à trouver leur voie, c’est comme ça qu’on dit, non ? (Si tous les jeunes qui ont des problèmes se mettaient en tête de faire du théâtre, tu imagines !) Je t’écoutais réciter dans ta chambre, c’était tellement ridicule et touchant aussi quelquefois. Ton père avait peur que tu ne deviennes homosexuel ; c’était sa hantise en t’écoutant parler tout seul."Ce que j'en pense :
Une pièce sur la famille et sur le théâtre, sur la théâtralisation de la vie, sur le silence, sur l'impossible communication, sur l'évasion. C'est direct, souvent cruel, parfois drôle. Il faut trouver le metteur en scène qui nous fera pénétrer dans ce huis clos.
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Par GéHa le 22 Avril 2015 à 08:31
"Lysistrata, faisons la grève du sexe" de Aristophane - Mille et une nuits
Présentation de l'éditeur :
Faisons la grève du sexe ! Tel est le mot d'ordre auquel Lysistrata entend rallier les Athéniennes et ses amies de l'autre cité en guerre. Allumant le feu du désir, puis le repoussant chez leurs maris, elles espèrent ramener la paix, et les hommes au foyer... Avec cet argument politique échevelé et profond, Aristophane donne au Ve siècle avant J.-C. une des comédies les plus audacieuses et irrésistibles.
Extrait :
"LAMPITO. - Par les déesses, il est bien difficile pour des femmes de dormir toutes seules. Il faut pourtant s'y résoudre ; car la paix doit passer avant tout.
LYSISTRATA. - O la plus chérie des femmes, et la seule digne de ce nom !
MYRRHINE. - Si, ce qu'à Dieu ne plaise, nous nous abstenions rigoureusement de ce que tu dis, en aurions-nous plus tôt la paix ?
LYSISTRATA. - Beaucoup plus tôt, par les déesses! Si nous nous tenions chez nous, bien fardées, bien épilées, sans autre vêtement qu'une tunique fine et transparente, quelle impression feraient nos attraits ? Et si alors nous résistions aux instances des hommes, ils feraient bientôt la paix, j'en suis certaine.
LAMPITO. - En effet, Ménélas, quand il vit la gorge nue d'Hélène, jeta son épée
MYRRHINE. - Et si nos maris nous laissent là, malheureuse ?
LYSISTRATA. - Alors, comme dit Phérécrate, tu écorcheras un chien écorché .
MYRRHINE. - Ces simulacres ne sont que de la viande creuse. Mais s'ils nous saisissent et nous entraînent de force dans leur chambre ?
LYSISTRATA. - Cramponne-toi à la porte.
MYRRHINE. - Et s'ils nous battent ?
LYSISTRATA. - Cède, mais de mauvaise grâce. Le plaisir s'évanouit quand la violence s'en mêle. Il faut les tourmenter par tous les moyens ; ils se lasseront bientôt ; car il n'y a jamais de véritable volupté pour l'homme, si la femme ne la partage."
Ce que j'en pense :
Beaucoup de dérision, d'humour, d'excès en tous genres… pour cette farce politique qui a toujours sa modernité (aux metteurs en scène de le prouver )
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Par GéHa le 25 Novembre 2014 à 10:23
"Déplace le ciel" de Leslie Kaplan - éditions P.O.L.
Présentation de l'éditeur :
Déplace le ciel est une pièce sur l’amour, la recherche de l’amour, le désir et la peur de l’amour, sur la solitude et sur le monde dans lequel nous vivons, et où nous sommes confrontés à une pensée faite de clichés, une pensée télé, c’est une pièce sur la difficulté de dire son expérience sans la rabattre sur des idées reçues et du savoir acquis, c’est une pièce sur le désir de découverte, de nouveau, de départ et de changement, c’est une pièce sur les rêves et le rêve.
Première page :
"F et E
un bar, une télé
F joue avec un ordinateur
je ne sais pas quoi te dire
je cherche Léonard, c’est tout
je cherche Léonard
et arrête avec cette machine
pourquoi ? pourquoi arrêter ?
Léonard, tu ne le trouveras pas
je cherche Léonard
je le trouverai
arrête
cette machine est insupportable
mais non
cette machine est une machine, c’est tout
et Léonard, tu ne le trouveras pas
tu ne le trouveras jamais
pourquoi tu me dis ça
arrête arrête arrête
cette machine est stupide
je te dis ça parce que je sais
je sais que tu ne le trouveras pas
et moi j’aime ma machine
clic clac
je sais tout"
Ce que j'en pense :
C'est un livre qui parle de tout, des vaches, de Shakespeare, de Léonard (à la façon de Godot), des hommes, du western…et de bien d'autres choses mais surtout du rêve, des rêves. C'est léger, drôle, plein de vie.
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Par GéHa le 6 Septembre 2014 à 09:18"Ruptures" de Rémi De VosActes-Sud-Papiers
Présentation de l'éditeur :
Une femme quitte son mari après lui avoir préparé un excellent dîner, un homme avoue à sa femme qu'il a une aventure avec un pompier et un couple songe à se quitter après avoir envisagé de se débarrasser de leur enfant. Mais, dans ces trois ruptures, qui va finalement réussir à quitter l'autre ?
Extrait :
"L'HOMME. Il est pompier
LA FEMME. Pompier?
L'HOMME. Oui
LA FEMME. Où ça pompier ?
L'HOMME. À la mairie de Paris
Elle le regarde.
LA FEMME. Pompier?
L'HOMME. Oui
Un temps.
LA FEMME. Pompier professionnel ?
L'HOMME. Ce n'est pas important ça
LA FEMME. C'est sa seule activité? Pompier?
L'HOMME. Oui
LA FEMME. Il n'est pas pompier bénévole avec un métier à côté ?
L'HOMME. Non seulement pompier
Un temps.
LA FEMME. Il est pompier quoi
L'HOMME. Pompier c'est tout
Un temps.
LA FEMME. OK
L'HOMME. Voilà
LA FEMME. Oui
L'HOMME. C'est comme ça
LA FEMME. Bien sûr
L'HOMME. Pompier
Elle le regarde.
LA FEMME. Mais pompier"
Ce que j'en pense :
Trois histoires à la fois drôle et tragique (la troisième est même assez cruelle). Les dialogues, très alertes, révèlent l'incompréhension entre l'homme et la femme. C'est un concerto pour couples en crise. Un vrai plaisir de lecture.
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Par GéHa le 23 Mai 2014 à 17:48"Que moi" de Rémi Checchettoéditions Espaces 34
Présentation de l'éditeur :
Que moi est un portrait du « moi » (rien d’autobiographique), seulement une tentative de dire le « je » qui parle et de ne dire que cela, c’est-à-dire ce qui le différencie, le singularise.
C’est un portrait en lutte contre plus fort que soi.
Portrait dans la modestie, l’immodestie de l’effort, du balbutiement. Pas dans la prétention du discours.
Se dessine alors l’immensité de ce qui l’entoure – de ce qui entoure tout être au monde.
Dans la lignée des textes précédents, Que moi est une forme d’aboutissement de ce questionnement sur l’identité qu’explore Rémi Checchetto par une forme proche du monologue dans laquelle la parole est donnée à de multiples voix.
Première page :
"Parfois, de loin en loin ou parfois souvent, un homme s’avance vers moi, il sort d’entre deux noirs cyprès, d’entre deux mondes de marbre, et avance tout droit, fatigué mais déterminé, voûté mais brave, vient à moi, cherche le sens du vent afin que sa voix porte et m’annonce que non, il n’est pas tout à fait mort, que peu s’en faut mais il vit encore, qu’il lui faudrait un signe, un souffle de moi, une fleur pourquoi pas, un quignon de jour, mon visage dans son trou inquiet, m’annonce cela et me dit aussi qu’il est assis et attend sur le bord du temps qui ravine fort les bords, qui bientôt s’effondreront, bientôt l’engloutiront, me dit cela et ajoute que si je n’y prends pas garde bientôt même l’écho de sa voix s’effondrera, et que cela se fera en toute inquiétude
que moi ?
moi, dans le groupe du nous, dans la soupe, le tas, le mou du nous, suis là, inclus, y suis
qui moi ?
quoi moi ?
où ?
où qui quoi moi que moi ?
moi tout encombré et bifurqué, tant tiré à hue et poussé à dia, tant renversé et démantibulé, tout rempli garni farci formules faits et gestes et mots prémâchés jusqu’au sommet du crâne, bouts des doigts, portions de voix
où suis-je moi ?
qui suis-je moi ? "Ce que j'en pense :
Se séparer du nous, ne plus être avec mais être uniquement soi, que soi… C'est un texte à lire à voix haute en cherchant sa propre voie (voix), à tâtons, en s'arrêtant, en reprenant.. en explorant quelque chose qui nous ressemble profondément.
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Par GéHa le 24 Mars 2014 à 12:00"Je marche dans la nuit par un chemin mauvais" de Ahmed MadaniActes Sud-Papiers
Présentation de l'éditeur :
Après s'être disputé avec son père, Gus est envoyé pour l'été chez son grand-père à Argentan. Le mode de vie y est différent : pas de télé, pas d'Internet, ni de consoles vidéo. Il faut se lever tôt, se nourrir à heures fixes et surtout passer ses journées à débroussailler le jardin à la faux. Gus ne rêve que de s'échapper pour retrouver sa vie d'adolescent moderne. Mais progressivement, chacun va apprendre à vivre avec l'autre.
Extrait :
"GUS. Qu'est-ce qu'on mange
PIERRE. De la soupe
GUS. Je déteste la soupe
je savais que ça allait commencer par ça
la soupe
j'ai pas faim
PIERRE. Ils donnent n'importe quoi à manger à leurs gosses et après ils s'étonnent qu'ils n'aiment plus rien mange ta soupe
GUS. J'ai pas faim
PIERRE. Il n'y a rien d'autre
GUS. Je vais manger cette soupe mais elle me dégoûte
PIERRE. Elle le dégoûte mais il la mangera alors l'école ça va
GUS. Elle est où la télé
PIERRE. À la cave
GUS. T'as toujours pas Internet
PIERRE. Sais pas ce que c'est et veux pas le savoir
GUS. Y a un cyber en ville
PIERRE. Sais pas ce que c'est et veux pas l'savoir
GUS. Je sens que ça va être cool ici
PIERRE. Ta chambre est en face de la mienne demain je te réveille à sept heures il y a du débroussaillage à faire bonne nuit
GUS. C'est quoi ce plan
PIERRE. À sept heures
GUS. Demain j'me tire"
Ce que j'en pense :
Récit très adroitement mené, il y a en même temps un dialogue entre un petit-fils et son grand-père, et des monologues en aparté. Bien qu'il perde la mémoire, le grand-père retrouve son passé en regardant son petit-fils : deux "mal-être" se rejoignent.
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