• Zulu

    "Zulu" de Caryl Ferey
    Série noire Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    Enfant, Ali Neuman a fui le bantoustan du KwaZulu pour échapper aux milices de l'Inkatha, en guerre contre l'ANC, alors clandestin. Même sa mère, seule rescapée de la famille, ne sait pas ce qu'elles lui ont fait... Aujourd'hui chef de la police criminelle de Cape Town, vitrine de l'Afrique du Sud, Neuman doit composer avec deux fléaux majeurs : la violence et le sida, dont le pays, première démocratie d'Afrique, bat tous les records. Les choses s'enveniment lorsqu'on retrouve la fille d'un ancien champion du monde de rugby cruellement assassinée dans le jardin botanique de Kirstenbosch. Une drogue à la composition inconnue semble être la cause du massacre. Neuman qui, suite à l'agression de sa mère, enquête en parallèle dans les townships, envoie son bras droit, Brian Epkeen, et le jeune Fletcher sur la piste du tueur, sans savoir où ils mettent les pieds... Si l'apartheid a disparu de la scène politique, de vieux ennemis agissent toujours dans l'ombre de la réconciliation nationale...

    Première page :

    "- Tu as peur, petit homme ?... Dis : tu as peur ?
    Ali ne répondait pas — trop de vipères dans la bouche.

    - Tu vois ce qui arrive, petit Zoulou ? Tu vois ?!

    Non, il ne voyait rien. Ils l'avaient saisi par la racine des cheveux et tiré devant l'arbre du jardin pour le forcer à regarder. Ali, buté, rentrait la tête dans les épaules. Les mots du géant cagoule lui mordaient la nuque. Il ne voulait pas relever les yeux. Ni crier. Le bruit des torches crépitait à ses oreilles. L'homme serra son scalp dans sa main calleuse :

    - Tu vois, petit Zoulou ?

    Le corps se balançait, chiffe molle, à la branche du jacaranda. Le torse luisait faiblement sous la lune mais Ali ne reconnaissait pas le visage : cet homme pendu par les pieds, ce sourire sanglant au-dessus de lui, ce n'était pas celui de son père. Non» ce n'était pas lui.

    Pas tout à fait.

    Plus vraiment.

    Le sjambock claqua de nouveau.

    Ils étaient tous là, réunis pour la curée, les « Haricots verts » qu'on avait formés pour maintenir l'ordre dans les townships, ..."

    Ce que j'en pense :

    Livre très bien documenté (parfois trop) sur l'Afrique du Sud. Intrigue captivante, bien menée. Les trois personnages principaux sont bien campés, avec leurs secrets, leurs défauts, leurs fêlures... Au final, malgré quelques longueurs, un bon polar, très noir et très "saignant".

      

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  • Pike

    "Pike" de Benjamin Whitmer
    traduction Jacques Mailhos - éditions Gallmeister

    Présentation de l'éditeur :

    Douglas Pike n'est plus l'effroyable truand d'autrefois, mais il a beau s'être rangé, il n'en est pas plus tendre. De retour dans sa ville natale proche de Cincinnati, dans les Appalaches, il vit de petits boulots avec son jeune comparse Rory, qui l'aide à combattre ses démons du mieux qu'il peut. Lorsque sa fille Sarah, disparue de longue date, meurt d'une overdose, Pike se retrouve chargé de sa petite-fille de douze ans. Mais tandis que Pike et la gamine commencent à s'apprivoiser, un flic brutal et véreux, Derrick Krieger, manifeste un intérêt malsain pour la fillette. Pour en apprendre davantage sur la mort de Sarah, Pike, Rory et Derrick devront jouer à armes égales dans un univers sauvage, entre squats de junkies et relais routiers des mauvais quartiers de Cincinnati.

    Première page :

    Le bras gauche du gosse saille en biais de la neige sale comme une branche de bois noir cassée. Derrick tâte le corps de la pointe de sa botte de cow-boy. Aucun mouvement. Il rengaine son Colt 911 et balaye la ruelle du regard. Les anciens bâtiments industriels en brique rouge le dominent de trop haut; un antique escalier de secours se décolle et pend d'une façade, menaçant d'entraîner le mur délabré dans sa chute. Droit devant, la ruelle s'achève en cul-de-sac sur un chenil grillagé abritant deux pit-bulls entraînés à déchiqueter le corps des flics blancs. Derrick tourne les talons et repart vers la Grand-rue de Cincinnati. Stase du matin, bottes qui crissent sur la neige dure au rythme du cœur qui bat, froid et métronomique, sous sa cage thoracique.

     Pas le moindre putain de doute : le gosse avait senti le coup venir. C'était forcé, vu comme il l'avait jouée cool jusqu'au moment où il avait surpris Derrick, visage penché sur une cigarette rougeoyante, pour faire alors volte-face et filer par la porte de la cuisine en ne lui laissant voir qu'une traînée afro floue et le dessous de ses talons. Le temps que Derrick sorte son .45 de son holster, le gosse avait déjà dix mètres d'avance et cavalait pour sauver sa peau.

     Puis il avait continué à bien jouer le coup sur les deux premiers blocs. Il s'était tenu à l'écart des petites rues latérales et avait rameuté tout le quartier. Et tous les autochtones ne dormaient pas; assis sur leurs perrons décatis, quelques-uns d'entre eux suivaient la scène de leurs yeux rougis par la bière....

    Ce que j'en pense :

    Roman noir où tout est très noir : paysage, neige, personnages, humour... Les descriptions de scènes violentes sont sèches et froides, les dialogues sont courts et percutants. L'auteur réussit malgré tout à nous faire aimer la plupart de ses personnages. Il joue beaucoup avec les métaphores, souvent de façon originale.

      

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  • Les ombres mortes

    "Les ombres mortes" de Christian Roux
    Rivages Noir

    Présentation de l'éditeur :

    Geoffrey Martin, ce n'est pas son vrai nom. Sauf qu'il y a huit ans, quand sa voiture a percuté un arbre et qu'il a repris conscience, c'est celui qui figurait sur ses papiers. De faux papiers, d'après la police. Mais personne n'a pu en savoir plus car il a laissé sa mémoire dans l'accident. " Geoffrey " a donc commencé une nouvelle vie. Il a même rencontré le grand amour avec Josepha. Pourtant, il est hanté par un cauchemar récurrent et inexplicable : un œil détaché de son orbite vient rouler dans le caniveau et se perdre dans les égouts. Et puis, une nuit, c'est la réalité qui devient cauchemar quand i apprend que Josepha s'est suicidée. Il n'y croit pas, le lieutenant Lancelot non plus. Qui était Geoffrey Martin dans sa première vie ? Quel secret si lourd cachait-il, au point d'avoir effacé ses souvenirs ? Remarqué pour son premier roman Braquages, Christian Roux entraîne son lecteur dans un jeu de perpétuels rebondissements où le suspense fait sans cesse écho au tragique.

    Première page :

    "On m'appelait Geoffrey Martin depuis que, huit ans auparavant, par un beau et frais jour d'avril, on avait extirpé mon corps d'un monceau de ferraille encastré dans un arbre. On a dit que j'avais eu beaucoup de chance de m'en sortir non seulement vivant mais en plus entier. Ce n'était qu'en partie vrai. Il y avait tout de même une chose que j'avais perdue, probablement fichée dans le recoin d'une taule déchiquetée, peut-être même lacérée par elle avant de finir compressée dans un cube de métal : ma mémoire. Et avec elle, mon nom.

    On m'a alors donné le nom et le prénom qui étaient inscrits sur mes papiers. Je ne les ai jamais aimés. Ce mélange d'anglais et de français, pour surprenant qu'il fut, ne m'évoquait rien ; en plus, à cause de lui, ma nouvelle vie a débuté dans un hôpital pénitentiaire : les papiers en question étaient faux et la police a préféré enquêter là-dessus avant de me relâcher. Parallèlement, une armée de médecins s'est acharnée sur mon cas, mais il leur a fallu se rendre à l'évidence : mon amnésie était bien réelle.

    Au bout de six mois passés à subir une quantité astronomique d'interrogatoires policiers et médicaux qui ont bien failli me rendre définitivement fou Je me suis retrouvé sur un trottoir avec, cette fois, de vrais papiers en poche, l'adresse d'une association qui aidait les gens à obtenir le RMI et, bien calé au fond de mon crâne, un cauchemar dont, très vite, j'ai décidé de ne parler à personne."

    Ce que j'en pense :

    Polar bien ficelé, avec des personnages attachants mais les évènements sont assez prévisibles. Les analyses politiques qui viennent au fil du livre font plaisir aux lecteurs d'extrême gauche mais n'apportent pas grand chose à l'intrigue.

     

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  • L'homme à la bombe

    "L'homme à la bombe " de Christian Roux
    Rivages/Noir

    Présentation de l'éditeur :

    Dans une France minée par le chômage et les plans sociaux, Larry, ingénieur acousticien, perd son emploi. Même pour un travail non qualifié, on ne veut pas de lui. Trop diplômé. Lassé des entretiens d'embauche qui ne mènent nulle part, écoeuré, aux abois, il fait une bêtise. Fabrique une bombe. Elle est fausse, mais lui seul le sait et le pouvoir de persuasion de la bombe est immense...

     Depuis Le Couperet de Westlake, la souffrance au travail, la peur du chômage et la détresse induite par la perte d'emploi, sont des thèmes plus actuels que jamais. Christian Roux s'en empare dans ce road-novel intense aux accents de fable politique.

    Première page :

    "Au début, évidemment, Larry n'avait pas la bombe. Il se rendait à ses entretiens en essayant d'y croire. Mais très vite, à chaque fois, il devait admettre qu'il n'y avait aucune chance pour que ça marche. Quelle que soit l'heure à laquelle il arrivait - et il arrivait parfois avec une heure d'avance -, quinze à trente personnes étaient déjà là, à attendre leur tour. Toutes entraient et sortaient par la même porte, la mine plus ou moins déconfite. Toutes postulaient pour un même emploi, qui ne demandait pas de qualifications particulières. Ranger des boîtes dans des rayons, établir un bon de commande ou un bordereau de livraison, saisir des entrées et des sorties, appuyer sur une touche pour qu'un ordinateur calcule un différentiel... n'importe qui sachant lire et écrire pouvait faire ça. Le Brevet des Collèges, pour ce genre de boulot, c'était déjà beaucoup, et il était prêt à parier qu'un bon quart des prétendants possédaient au minimum un diplôme universitaire.

    Quand enfin venait son tour, il poussait la porte et entrait dans une pièce presque vide. Deux ou trois tables, une chaise, une plante verte dans le meilleur des cas ; au sol, de la moquette premier prix, sur les murs, du papier gaufré à peindre ..."

    Ce que j'en pense :

    À la fois road movie et fable sociale, l'auteur nous livre un texte sombre mais non dépourvu d'humour. Le scénario est très efficace, les thèmes très actuels et l'écriture directe... Voilà en 150 pages un très bon roman noir.

      

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  • Le camion

    "Le camion" de Per Wahlöö
    traduction Philippe Bouquet - Rivages/Noir

    Présentation de l'éditeur :

    Espagne, début des années 1960. Willi Möhr, un jeune peintre marginal, a fui l’Allemagne de l’Est pour s’installer dans un village de pêcheurs où il cohabite avec un couple d’artistes scandinaves. Möhr est tiré de sa torpeur et de sa passivité morale le jour où ils disparaissent, pendant une partie de pêche. Il est persuadé qu’ils ont été assassinés. Mais dans cet univers étouffant, où les rapports humains ont été subtilement corrompus par la dictature de Franco, on ne parle guère et la police veille.

    Première page :

     "Willi Mohr fut arrêté le 7 octobre vers 2 heures de l'après-midi, au milieu de la sieste.

     Il vivait seul dans une maison de deux étages en mauvais état du Barrio Son Jofre, dans la partie sud de la ville, qui était aussi la plus ancienne et celle située le plus en hauteur.

     L'homme qui vint l'interpeller était un garde civil d'âge mûr au visage somnolent, aux traits marqués et à la moustache grise coupée court. Il portait sa carabine en bandoulière et était venu à pied du cantonnement, à une certaine distance de là. À son arrivée dans la petite ruelle pavée qui montait en serpentant vers le Barrio, il observa une pause pour reprendre son souffle. Il n'était pas pressé.

    Cinq minutes avant, Willi Mohr savait déjà que quelqu'un était en route vers son domicile. Il était couché sur le dos dans la pénombre, les mains jointes derrière la nuque, et regardait le plafond sans penser à quoi que ce soit en particulier. Il perçut un léger frottement et tourna la tête. Il vit alors le chat pénétrer par la chatière et pro­jeter une petite ombre oblique sur le losange de soleil qui éclairait le sol. Comme il passait directement de l'ombre au soleil, ses pupilles se dilatèrent au point de dévorer presque entièrement ses iris vert clair et de prendre une forme totalement circulaire. L'animal ne s'enfonça pas dans la pièce et s'arrêta près de la porte en jetant des regards prudents en direction de la ruelle. "

     Ce que j'en pense :

    Ce livre paru en 1962 décrit parfaitement la chape de plomb qui existait dans l'Espagne franquiste. Silences, non-dits, vengeance, culpabilité, réalisme social... et puis : chaleur, humidité, odeur de poisson... mais également : écriture, intrigue, personnages... tout cela fait de ce roman noir un très bon livre.

      

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  • Les Milanais tuent le samedi

    "Les Milanais tuent le samedi " de Giorgio Scerbanenco
    traduction Laurent Lombard - Rivages Noir

    Présentation de l'éditeur :

    "Avec la civilisation de masse naît la criminalité de masse. Aujourd'hui, la police ne peut plus rechercher tel ou tel criminel, ni enquêter sur telle ou telle affaire. Aujourd'hui on fait d'énormes coups de filet... On pêche dans cette mer fangeuse du crime et on en sort de répugnants poissons, des petits et des gros ; et c'est comme ça qu'on fait le ménage. Mais on n'a pas le temps de s'occuper d'une fille qui mesure presque deux mètres, pèse cent kilos, simple d'esprit, et qui a disparu de chez elle, volatilisée dans l'immense Milan où une personne disparaît chaque jour sans qu'on puisse la retrouver."

    Duca Lamberti, lui, va prendre le temps de s'intéresser à cette affaire.

    Première page :

    "- Oui ? dit Duca Lamberti.

    C'était moins une question qu'une approbation.

    De l'autre côté de la table, l'homme vieux mais robuste, solide, large, musclé, les oreilles et les sourcils broussailleux, se remit alors à parler :

    - Chaque fois que j'allais au commissariat,  le commissaire me disait : « Ne vous inquiétez pas, on va la retrouver, votre fille, laissez-nous le temps, on a tellement de travail vous savez. » J'y suis allé une fois par semaine et le commissaire me répondait toujours la même chose : qu'on allait la retrouver, ma gamine. Mais ça fait cinq mois et toujours rien, et moi je ne vis plus. Brigadier, je vous en supplie, retrouvez-la-moi, sinon je ne sais pas ce que je vais faire.

    Duca Lamberti n'était pas brigadier, mais il ne corrigea pas ; il n'aimait pas corriger qui que ce soit, faire la leçon à qui que ce soit. Il regarda le vieil homme - pas si vieux au fond, il ne devait pas encore avoir soixante ans - il regarda ce visage de vieux taureau brave et débonnaire que déformait, à ce moment-là, un rictus proche des larmes.

    - Bien entendu, nous ferons tout ce qu'il faut, lui dit-il."

    Ce que j'en pense :

    On retrouve pour la dernière fois les enquêtes d l'inspecteur Duca Lamberti, qui nous entraine dans les bas-fonds de la ville de Milan. Pour moi, l'intérêt principasl de ce roman est de permettre de redécouvrir l'univers de Giorgio Sverbanenco dans les années 60.

     

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  • Les murs de sang

    "Les murs de sang" de Jérôme Camut et Nathalie Hug
    calmann-lévy

    Présentation de l'éditeur :

    Douze ans que Jack van Bogaert est séparé de sa fille, Lucie. Après une jeunesse tumultueuse et un séjour prolongé dans une prison balinaise, il coule des jours paisibles auprès de Libby, la femme qu’il aime, sur une petite île paradisiaque. Un bonheur inespéré auquel s’ajoutent des retrouvailles avec Lucie, dont la mère vient de mourir et qu’il est venu récupérer en Suisse. Survient un stupide accident de voiture sur une route de montagne, et tout bascule.

     Avec cette intrigue ingénieuse filée sur trois époques, Jérôme Camut et Nathalie Hug nous offrent un thriller complexe, sensible, virtuose.

    Première page :

    "Le matin du jour où sa vie bascula, Jack van Bogaert prit la route du volcan. À mi-chemin du sommet, il se gara sur le bas-côté et coupa le moteur de sa Jeep. De cet endroit d'Elisabeth Island, le regard portait loin et l'altitude créait l'illusion d'une courbure de l'horizon. Jack s'arrêtait là chaque jour pour scruter le relief des îles Vierges et la longue silhouette de Saint-Domingue, plus à l'ouest.

    Il s'abîma longtemps dans la contemplation du paysage avant de s'engager sur une route défoncée et caillouteuse, jusqu'à une paillette nichée sur les berges du cratère. Cette bicoque enfouie sous un entrelacs de palmiers, décolorée par le soleil, servait à la fois de résidence et de magasin à une vieille Créole surnommée Gnokie.

    Le carton occupée placardé sur la vitrine de l'épicerie indiquait que la propriétaire des lieux jardinait. Jack entra dans le magasin, se fraya un chemin entre les piles de caisses et les rayonnages branlants, puis poussa la petite porte rouge qui donnait sur le potager.

    Le dos courbé entre deux rangs de tomates, Gnokie binait la terre en marmonnant, ses quelques dents serrées sur une pipe en écume. D'un rapide coup d'oeil, Jack repéra la demi-douzaine de cagettes qui s'entassaient dans l'ombre d'un auvent ; sa commande du jour."

    Ce que j'en pense :

    Ce livre est bien fait pour qu'on le lise jusqu'au bout : suspense, rythme, émotions...Mais on avance dans l'intrigue sans vraiment y croire : il y a des invraisemblances géographiques, les ficelles sont souvent très grosses et le style frôle parfois le ridicule. On peut lire ce livre pour s'occuper, se vider la tête...

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  • Les enfants du massacre

    "Les enfants du massacre" de Giorgio Scerbanenco
    traduction Gérard Lecas - Rivages/Noir

    Présentation de l'éditeur :

    Duca Lamberti, ancien médecin devenu détective privé, est chargé dans ce troisième volet de la tétralogie que Giorgio Scerbanenco lui a consacré d’une affaire criminelle sordide : une jeune enseignante a été torturée, violée puis assassinée dans sa salle de classe par ses propres élèves, une brochette de délinquants de treize à vingt ans inscrits à ses cours du soirs par l’assistance sociale. Duca doit donc se confronter avec non pas un suspect, mais onze, qui tous observent la même ligne de défense, aussi absurde qu’imparable : ils reconnaissent individuellement avoir été présents au moment des faits, mais chacun affirme qu’il n’a rien vu, que les autres l’avaient forcé à boire, qu’il était ivre, endormi ou trop terrorisé pour faire quoi que ce soit. Face à ce mur, d’autant plus exaspérant qu’à l’évidence tout est faux, Duca cherche un détail qui lui permette de comprendre qui a bien pu planifier tout ça. Car il n’est pas dupe : ce ne sont pas des gamins complètement déstructurés qui ont pu mettre au point si minutieusement une telle tactique…

    Première page :

     "« Elle est morte il y a cinq minutes », dit la sœur.

    Sans dire un mot, Duca Lamberti regarda par-dessus l'épaule de la religieuse, vers le visage rude et tourmenté de Mascaranti.

    « Vous voulez la voir quand même ? » demanda la sœur. Elle savait que les policiers étaient venus interroger l'institutrice, mais interroger une morte lui semblait difficile.

    « Oui », dit Duca.

    On avait déjà repoussé les couvertures et elle gisait dans une combinaison jaune, démodée et pathétique, la peau à peine figée par la mort, le visage déformé par une grimace de souffrance et un hématome sous l'œil droit, l'harmonie du front abîmée elle aussi par la grosse touffe de cheveux qu'on lui avait bestialement arrachée, provoquant une calvitie tragi-comique autant qu'étrange, et tout le thorax gonflé, arrondi par le plâtre exécuté en hâte pour tenter de réparer sommairement toutes ces côtes brisées, et il y en avait beaucoup, peut-être toutes, le chirurgien n'avait même pas eu le temps d'en faire le décompte."

    Ce que j'en pense :

    Ce livre écrit il y a 40 ans n'est en rien daté (sauf peut être sur l'homosexualité). C'est un livre sombre, presque désespéré où le policier Duca Lamberti se pose (et nous pose) beaucoup de questions : a-t-on droit à une seconde chance ? Peut-on échapper à la reproduction des schémas familiaux? Y a-t-il d'autre choix que la violence pour ces enfants? ... Une écriture précise, tranchante (en particulier lors des interrogatoires), une intrigue minutieuse et implacable, font de ce roman un excellent polar italien.

       

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  • Marketing viral

    "Marketing viral " de Marin Ledun
    Au diable vauvert (livre de poche)

    Présentation de l'éditeur :

    A l'université de Grenoble, Nathan Seux travaille sur la sexualité. Ses recherches convergent vers un étrange laboratoire qui semble utiliser génétique et nanotechnologies dans des buts alarmants : marketing, manipulation, contrôle du corps et de l'esprit, " amélioration " de l'homme. Bientôt, ses étudiants sont assassinés les uns après les autres et toutes les pistes débouchent sur des bains de sang...

    Première page :

    "Vallée du Chassezac, Gravières, Ierjanvier 2008.

    Début janvier, l'air est doux. L'hiver tarde à s'aventurer sur les terres cévenoles. Une punaise noire avance sur le tapis d'aiguilles de pin en décomposition avec une pugnacité que seule explique sa mission génétique d'insecte. Elle escalade, descend à tâtons, griffe le sol comme si la gravité ne la préoccupait pas. Ses pattes dérapent sur les grains d'argile verte entre deux tas d'aiguilles. Elle recule de deux centimètres, perd l'équilibre puis le retrouve, poursuivant avec obstination. Ballet en apparence erratique, mais parfaitement déterminé. Des centaines de fourmis encadrent un long filet de vers blancs. Leur présence ne semble pas contrarier sa chorégraphie, ni celle de ses congénères.

    Millimètre par millimètre, le cheminement chaotique de chaque insecte fait sens dans la multitude. La punaise isolée ne vaut que par sa rencontre avec d'autres, la fusion de leurs errances et de leurs déterminations. Chacun à sa tâche et à son code génétique, mais tous au service d'une même cause : décomposition, alimentation, reproduction. ..."

    Ce que j'en pense :

    Intrigue intéressante, originale, mais parfois peu vraisemblable. Parties théoriques (génétique, philosophie, marketing...) parfois trop longue et complexe. Mais, belle écriture malgré tout pour un vrai thriller qui frôle le fantastique.

     

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  • Les visages

    "Les visages" de Jesse Kellerman
    traduction Julie Sibony - éditions Sonatine

    Présentation de l'éditeur :

    Lorsque Ethan Muller, propriétaire d'une galerie, met la main sur une série de dessins d'une qualité exceptionnelle, il sait qu'il va enfin pouvoir se faire un nom dans l'univers impitoyable des marchands d'art. Leur mystérieux auteur, Victor Crack, a disparu corps et âme, après avoir vécu reclus près de quarante ans à New York dans un appartement miteux. Dès que les dessins sont rendus publics, la critique est unanime : c'est le travail d'un génie. La mécanique se dérègle le jour où un flic à la retraite reconnaît sur certains portraits les visages d'enfants victimes, des années plus tôt, d'un mystérieux tueur en série. Ethan se lance alors dans une enquête qui va bien vite virer à l'obsession. C'est le début d'une spirale infernale à l'intensité dramatique et au coup de théâtre final dignes des plus grands thrillers. Bien loin des polars calibrés habituels, Jesse Kellerman, styliste hors pair, nous offre ici un roman d'une indéniable qualité littéraire qui, doublée d'une intrigue machiavélique, place d'emblée le livre au niveau des plus grandes réussites du genre, tels Mystic River, de Dennis Lehane, ou L'Analyste, de John Katzenbach.

    Première page :

    "Au début, je me suis mal comporté. Je ne vais pas vous mentir, alors autant jouer cartes sur table dès maintenant : si j'aimerais croire que je me suis racheté par la suite, il ne fait aucun doute que mes intentions, du moins au début, ont manqué quelque peu de noblesse. Et encore, c'est un euphémisme. Alors puisqu'il faut être honnête, soyons honnête : j'étais motivé par l'appât du gain et sur­tout par le narcissisme ; un sentiment de toute-puissance profondément enraciné dans mes gènes et dont je semble incapable de me débarrasser, bien qu'il me fasse parfois honte. Déformation professionnelle, j'imagine, mais aussi une des raisons qui m'ont poussé à tourner la page. « Connais-toi toi-même. »

    Et merde. Je m'étais promis de faire un effort pour ne pas parler comme un sale con prétentieux. Il faut que je fasse plus roman noir ; en tout cas j'aimerais bien. Mais je ne crois pas que ce soit mon truc. D'écrire par petites phrases hachées. D'employer des métaphores graveleuses pour décrire des blondes sensuelles (mon héroïne est brune, pas spécialement du genre sensuel ; elle n'a pas les cheveux noir de jais lâchés en une crinière dégoulinante ; ils sont châtain clair et la plupart du temps pragmatique-ment attachés en arrière - des queues-de-cheval soignées ou des chignons improvisés - ou bien juste coincés der­rière les oreilles). Je n'y arrive pas, alors pourquoi me forcer ?"

    Ce que j'en pense :

    Ce livre n'a rien à voir avec un thriller, comme il est annoncé sur la couverture. Ce n'est pas non plus un roman noir et à peine un roman policier. L'intrigue, qui se passe dans un milieu original (le monde des galeries d'art), est à la fois recherche d'un criminel et chronique familiale (avec ses secrets...). Les personnages ont de l'épaisseur.

     

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