• Mahmoud ou la montée des eaux

    "Mahmoud ou la montée des eaux" de Antoine Wauters - Verdier

    Présentation de l'éditeur :

    Syrie. Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.

    Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.

    Première page :

    Les couloirs verts et or de ma lampe torche

     

    Au début, les premières secondes, je touche toujours mon cœur pour vérifier qu’il bat.

    Car j’ai le sentiment de mourir.

    J’ajuste mon masque, me tenant à la proue.

    Je fais des battements de jambes.

    Le vent souffle fort.

    Il parle.

    Je l’écoute parler.

    Au loin, les champs de pastèques,

    le toit de la vieille école et des fleurs de safran.

    L’eau est froide malgré le soleil,

    et le courant chaque jour plus fort.

    Bientôt, tout cela disparaîtra.

    Crois-tu que les caméras du monde entier se déplaceront pour en rendre compte ?

    Crois-tu que ce sera suffisamment télégénique pour eux, Sarah ?

    Qu’importe.

    Agrippé à la proue, je vois mon cabanon, une vache qui paît en dessous des arbres, le ciel immense.

    Tout est loin.

    De plus en plus loin.

    J’enfile mon tuba. Je fixe ma lampe frontale afin qu’elle ne bouge pas.

    Et je palme lentement pour maintenir mon corps d’aplomb.

    Ce que j'en pense :

    En se mettant dans la peau d’un vieux poète syrien, l’auteur nous fait découvrir ce pays en profondeur, avec beaucoup de délicatesse, de douceur et de nostalgie. Nous en apprenons énormément sur ce pays toujours en guerre. La forme de ce récit, en vers libres, peut certes décontenancer certains lecteurs mais il faut se laisser happer par les mots, comme si on plongeait dans un long poème. Au fil de ses "poèmes-romans", Antoine Wauters s'affirme comme un des grands écrivains francophones contemporains.

    Mahmoud ou la montée des eaux

     

     

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  • Sous le ciel des hommes

    "Sous le ciel des hommes" de Diane Meur - Sabine Wespieser éditeur

    Présentation de l'éditeur :

    Rien ne semble pouvoir troubler le calme du grand-duché d’Éponne. Les accords financiers y décident de la marche du monde, tout y est à sa place, et il est particulièrement difficile pour un étranger récemment arrivé de s’en faire une, dans la capitale proprette plantée au bord d’un lac.

    Accueillir chez lui un migrant, et rendre compte de cette expérience, le journaliste vedette Jean-Marc Féron en voit bien l’intérêt : il ne lui reste qu’à choisir le candidat idéal pour que le livre se vende.

    Ailleurs en ville, quelques amis se retrouvent pour une nouvelle séance d’écriture collective : le titre seul du pamphlet en cours – Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste – sonne comme un pavé dans la mare endormie qu’est le micro-État.

    Subtile connaisseuse des méandres de l’esprit humain, Diane Meur dévoile petit à petit la vérité de ces divers personnages, liés par des affinités que, parfois, ils ignorent eux-mêmes. Tandis que la joyeuse bande d’anticapitalistes remonte vaillamment le courant de la domination, l’adorable Hossein va opérer dans la vie de Féron un retournement bouleversant et lourd de conséquences.

    C’est aussi que le pamphlet, avec sa charge d’utopie jubilatoire, déborde sur l’intrigue et éclaire le monde qu’elle campe. Il apparaît ainsi au fil des pages que ce grand-duché imaginaire et quelque peu anachronique n’est pas plus irréel que le modèle de société dans lequel nous nous débattons aujourd’hui.

    Première page :

    La ville dormait non pas de son sommeil nocturne, mais de la trompeuse somnolence de ses dimanches après-midi. Un dimanche de novembre à Landvil vers les trois ou quatre heures, laisser derrière soi les rues du Vieux Quartier pour s’aventurer sur les pentes des diverses collines, de leurs banlieues effilochées sans comment ni pourquoi : une expérience du vide, ou de l’infini ? Le ciel est bas, sans l’être. Dans ces pays de montagnes où même le fond des vallées est déjà en altitude, la couche des nuages, c’est vrai, paraît à portée de main. Mais chacun y connaît aussi les coups de théâtre qui, en moins d’une demi-heure, peuvent déchirer ce voile accroché aux sommets, chacun le sait donc aussi relatif qu’éphémère.

    D’ailleurs ce n’est pas du ciel chargé que tombe cette somnolence. C’est de la ville qu’elle monte. De ses réverbères, dont la lueur fond en halo dans le léger brouillard ; de ses tramways qui, dans les courbes, émettent un grincement poussif comme pour proclamer : Attention, aujourd’hui nous sommes rares. Trafic dominical.

    Chaque rue semble une impasse. Chaque immeuble semble le dernier de la rue. …

    Ce que j'en pense :

    Beaucoup de personnages dans ce roman choral, et sans doute un peu trop. Les pages consacrées à l’écriture d’un pamphlet anti capitaliste qui sert d’épine dorsale au roman m’a particulièrement « ennuyé ». Au point que j’en ai sauté pas mal de pages, alors que sur le fond je suis assez d’accord avec la thèse soutenue. Il reste quand même dans ce roman quelques belles pages, en particulier lorsque l’autrice parle des migrants.

    Sous le ciel des hommes

     

     

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  • La vie en chantier

    "La vie en chantier" de Pete Fromm -Gallmeister

    Présentation de l'éditeur :

    Marnie et Taz ont tout pour être heureux. Jeunes et énergiques, ils s’aiment, rient et travaillent ensemble. Lorsque Marnie apprend qu’elle est enceinte, leur vie s’en trouve bouleversée, mais le couple est prêt à relever le défi. Avec leurs modestes moyens, ils commencent à retaper leur petite maison de Missoula, dans le Montana, et l’avenir prend des contours plus précis. Mais lorsque Marnie meurt en couches, Taz se retrouve seul face à un deuil impensable, avec sa fille nouveau-née sur les bras. Il plonge alors tête la première dans le monde inconnu et étrange de la paternité, un monde de responsabilités et d’insomnies, de doutes et de joies inattendus.
    La Vie en chantier est une histoire qui touche au cœur. À travers ce troublant mélange de peine et d’amour, Pete Fromm écrit magnifiquement sur la vie qui donne toujours une seconde chance à celui qui sait la saisir.

    Première page :

    LORSQU’ELLE le lui dit, Taz est à genoux ; à force de manier le marteau ses bras vibrent, palpitent et picotent. Il lève les yeux, les oreilles bourdonnantes, la pince à levier et les doigts coincés sous encore quinze centimètres de sous-plancher en kryptonite de malheur.

    Les pouces accrochés à sa ceinture à outils, comme si finalement elle comptait s’attaquer au fichu lattis, Marnie le regarde avec un sourire en coin et répète sa phrase.

    Il cligne des yeux, hausse un sourcil et libère ses doigts, les frotte pour en retirer la poussière.

    — C’est vrai ? demande-t-il.

    Tâchant de contenir son sourire, elle commence à extraire un test de grossesse de sa ceinture, à peine un centimètre ou deux, avant de l’enfoncer à nouveau.

    — L’aiglon a atterri.

    Taz regarde autour de lui, le mur réduit à son ossature face à la cuisine, le sol maculé de plâtre, la constellation de trous laissée par les lattes qu’ils ont arrachées. Les moulures en pin ont été retirées et empilées près de l’atelier dans le jardin, où elles attendent qu’il trouve le temps de décaper un siècle de peinture. Encore du plâtre qui s’écaille, là où se trouvaient les moulures. Des fils électriques noirs d’un autre âge, gainés de tissu, affleurent entre les montants du mur, entourés çà et là de boutons et de tubes en porcelaine d’un blanc pisseux. Le plancher semble avoir explosé, des éclats de contreplaqué se dressent vers le plafond.

    Ce que j'en pense :

    C’est sobre, sans fioriture et sans pathos et pourtant l’émotion est très présente dans ce livre. On est continuellement avec le héros Taz mais aussi avec les autres protagonistes présents réellement ou définitivement absents : Marnie, l’ami, la belle mère, la nounou et bien sûr la petite Midge que l’on voit grandir. L’écriture de Pete Fromm sait nous mettre au milieu de tout cela, d’une manière particulièrement simple et juste. C’est magnifique.

    La vie en chantier

     

     

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  • Là où naissent les prophètes

    "Là où naissent les prophètes" de Olivier Rogez - Le passage

     Présentation de l'éditeur :

    Wendell voit des anges. Quoi de plus normal pour un pasteur qui passe le plus clair de son temps à prêcher dans les rues de Monrovia, la capitale du Libéria ? Frances, une jeune évangélique américaine, convaincue qu’il est béni de Dieu, arrive à le persuader de la suivre pour un périple sur les routes d’Afrique de l’Ouest. Son but ? Organiser une caravane de croyants pour évangéliser le nord du Nigéria. Entre les faux dévots, les fondamentalistes, les vrais escrocs et les criminels, reste-t-il encore une place dans ce monde pour la foi sincère ? À chacune de ses rencontres, Wendell n’aura de cesse de chercher une réponse à cette question. Laya, l’adolescente en fuite, détient-elle la vérité ? À moins que ce ne soit Balthus, le méditatif soldat camerounais… ou peut-être ce mystique soufi qui sillonne la brousse en quête d’une cité idéale ? Wendell apprendra en tout cas une chose : les miracles ne se produisent pas forcément là où on les attend.

    Première page :

    Monrovia, capitale du Libéria

    D’habitude, quand il commençait son sermon, les gens s’arrêtaient et écoutaient, car ils espéraient voir les anges. En réalité, le phénomène ne s’était produit qu’une seule fois, mais cette simple fois avait suffi à asseoir sa réputation. Posté à l’angle de la rue Nelson et de l’avenue Sekou Touré, juché sur un vieux casier à bouteilles pour mieux dominer son public, le pasteur Wendell Tubney scrutait les réactions des passants. Il entamait toujours ses prêches par les mêmes phrases à l’efficacité maintes fois éprouvée. « Je suis la voix du Seigneur, notre berger. Il parle par ma bouche aux pécheurs qui ne veulent pas se soumettre à Sa toute-puissance. » La parole de Dieu produisant un certain effet, ces mots attiraient immanquablement la curiosité. Généralement, un premier badaud s’arrêtait, rapidement suivi par un deuxième. Dès qu’il y en avait trois, c’était gagné, trois constituait le chiffre magique définissant une frontière entre le couple et le commencement d’un rassemblement.

    Ce que j'en pense :

    L’auteur est spécialiste de l’Afrique et on voit qu’il connaît bien son sujet dans un contexte de guerre politico-religieuse. Je considère ce livre plus comme un document qu’un roman. Les différents protagonistes sont tous à la recherche d’un idéal, d’une croyance qui pourrait donner du sens à leur vie. Pour moi, la plupart des personnages sont montrés de façon assez schématiques, comme par exemple le pasteur Enoch qui passe d’un extrême à l’autre sans qu’on en sache les raisons.

    Là où naissent les prophètes

     

     

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  • La probabilité mathématique du bonheur

    "La probabilité mathématique du bonheur" de Maxence Fermine - Michel Lafon

    Présentation de l'éditeur :

    À trente-neuf ans et des poussières, Noah, éternel adolescent, a de plus en plus le sentiment d'un vide essentiel qui le fait passer à côté de sa vie telle qu'il l'avait rêvée enfant. Alors un soir, il décide de poser son mal-être pour trouver la clef du bonheur. D'expérience en découverte, Noah traque le bonheur dans chaque aspect de sa vie, guidé par cette seule question : y a-t-il une recette, une formule pour y parvenir ? Une rencontre va changer la donne au-delà de toutes ses espérances...

    Première page :

    Un matin, alors qu’il est assis derrière son ordinateur, penché sur la maquette d’un article un peu rasoir qu’il ne parvient pas à légender, Noah Karski réalise combien il s’ennuie. C’est un jeudi de début janvier. Il tourne la tête vers le paysage qu’il aperçoit par la fenêtre, montagnes enneigées, ciel bas et lourd, branches d’arbres balayées par d’intenses rafales de vent, et lâche un énorme soupir.

    – Eh bien, lui souffle sa collègue Élisa qui vient de franchir le seuil de son bureau sans qu’il ne le remarque, et le découvre en proie à la plus profonde des mélancolies, ça ne respire pas vraiment le bonheur par ici. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu viens de perdre ton hamster ?

    – Pardon ? Qu’est-ce que tu dis ?

    Élisa, qui travaille au secrétariat, est certainement la personne la plus enjouée de la rédaction. Grande et mince, cheveux châtains coupés à la garçonne, elle se tient droite devant Noah, un dossier à la main, en le couvant de ses yeux verts. Elle est plus amusée que consternée, même si elle a perçu la détresse qui se niche dans son regard.

    – Peut-on savoir pour quelle raison tu arbores une mine aussi triste et pousses des soupirs à fendre l’âme ? Un décès dans ta famille ? Tu as perdu ton hamster ?

    Ce que j'en pense :

     Très déçu par ce livre. C'est creux mais loin d'être profond ! Ce n'est pas vraiment un roman ni un livre de développement personnel. Avec un pareil titre on s'attend à un peu de causticité et d'humour mais il n'y en a pas un milligramme. C'est un livre qui ne repose que sur le succès de ses précédents livres (en particulier "Neige"). On se demande vraiment comment on peut passer d'un chef d'oeuvre à un livre aussi médiocre !

    La probabilité mathématique du bonheur

     

     

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  • S'adapter

    "S'adapter" de Clara Dupont-Monod - Stock

    Présentation de l'éditeur :

    C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.
    Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.
    La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie.

    Première page :

    Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté. Malgré sa laideur un peu dégradante, ce mot dirait pourtant la réalité d’un corps mou, d’un regard mobile et vide. « Abîmé » serait déplacé, « inachevé » également, tant ces catégories évoquent un objet hors d’usage, bon pour la casse. « Inadapté » suppose précisément que l’enfant existait hors du cadre fonctionnel (une main sert à saisir, des jambes à avancer) et qu’il se tenait, néanmoins, au bord des autres vies, pas complètement intégré à elles mais y prenant part malgré tout, telle l’ombre au coin d’un tableau, à la fois intruse et pourtant volonté du peintre.

    Au départ, la famille ne discerna pas le problème. Le bébé était même très beau. La mère recevait des invités venus du village ou des bourgs environnants. Les portières des voitures claquaient, les corps se dépliaient, risquaient quelques pas chaloupés. Pour arriver jusqu’au hameau, il avait fallu rouler sur des routes minuscules et sinueuses. Les estomacs étaient retournés. Certains amis venaient d’une montagne toute proche, mais ici, « proche » ne voulait rien dire. Pour passer d’un endroit à un autre, on devait monter puis redescendre. La montagne imposait son roulis. Dans la cour du hameau, on se sentait parfois cerné par des vagues énormes, immobiles, mousseuses d’une écume verte. Lorsque le vent se levait et qu’il secouait les arbres, c’était un grondement d’océan. Alors la cour ressemblait à une île protégée des tempêtes.

    Ce que j'en pense :

    C’est un roman sans doute très personnel. Ce « récit-témoignage » à hauteur d’enfant (l’aîné, la cadette et le dernier) montre comment on peut vivre en s’adaptant (drôle de mot !) au handicap (lourd) d’un frère.  L’écriture en est délicate et assez pudique. Malheureusement je ne suis pas « rentré » complètement dans ce livre sans doute parce que j’ai trouvé les comportements de l’aîné et de la cadette, en particulier, assez peu vraisemblables psychologiquement ?

    S'adapter

     

     

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  • Mais leurs yeux dardaient sur Dieu

    "Mais leurs yeux dardaient sur Dieu" de Zora Neale Hurston - Zulma

    Présentation de l'éditeur :

    Eatonville, Floride. Janie Mae Crawford est de retour. Il lui aura fallu trois existences et trois mariages – avec le vieux Logan Killicks et ses sentiments trop frustes, avec le fringant Joe Starks et ses ambitions politiques dévorantes, avec Tea Cake enfin, promesse d’égalité dans un élan d’amour – pour toucher l’horizon de son rêve d’émancipation et de liberté. Fierté intacte, elle revient et se raconte, seigneur des mots et des moindres choses…

    Portrait d’une femme entière animée par la force de son innocence, esprit libre bravant la rumeur du monde, Mais leurs yeux dardaient sur Dieu est un monument de la littérature américaine, aussi percutant aujourd’hui que lors de sa parution aux États-Unis en 1937. C’est un roman culte. Et c’est un immense chef-d’œuvre.

    Première page :

    Les navires au lointain transportent à leur bord tous les désirs d’un homme. Certains reviennent avec la marée. D’autres voguent à jamais sur l’horizon, sans jamais s’éloigner du regard, sans jamais toucher terre jusqu’à ce que le Guetteur détourne les yeux de résignation, ses rêves raillés mortifiés par le Temps. Telle est la vie des hommes.

    Les femmes, elles oublient tout ce dont elles ne veulent pas se souvenir et se souviennent de tout ce qu’elles ne veulent pas oublier. Le rêve est leur vérité. En conséquence de quoi elles agissent, font ce qu’elles ont à faire.

    Donc au commencement il y avait une femme et cette femme revenait d’enterrer les morts. Pas les morts malades et agonisants entourés d’amis à leur chevet et leurs pieds. Elle revenait des boursouflés et des détrempés ; les morts soudains, aux yeux grands ouverts, rendant jugement.

    Tous la virent revenir car c’était au soleil descendu. Le soleil s’en était allé, mais il avait laissé dans le ciel l’empreinte de ses pas. C’était le moment de s’asseoir sur les vérandas au bord de la route. C’était le moment d’écouter ce qui vient et de parler.

    Ce que j'en pense

    C’est une roman qui date de 1937 mais qui est d’une grande qualité littéraire. La traduction actuelle essaie de respecter le langage spécifique des noirs à l’époque. Il faut un peu de temps pour bien maîtriser cette langue originale et cela en ralentit la lecture mais c’est ce qui en fait sa grande originalité. Les personnages sont splendides. C’est vraiment un exemple très bien réussi de la :;littérature afro-américaine.

    Mais leurs yeux dardaient sur Dieu

     

     

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  • Alice et les autres

    "Alice et les autres" de Vinciane Moeschler - Mercure de France

    Présentation de l'éditeur :

    Madame Morin mène une existence paisible entre son mari Guy et ses trois enfants qu’elle élève avec fierté. C’est une mère de famille aimante. Pourtant, se pourrait-il qu’elle mène d’autres vies ? Atteinte d’un trouble dissociatif depuis ses quinze ans, elle est en proie à plusieurs personnalités distinctes qui prennent tour à tour le contrôle de sa vie.
    En quelques secondes, elle se métamorphose en Betty, Alice et les autres, dont elle ne conserve aucun souvenir. Des séjours répétitifs en clinique psychiatrique lui permettent de se mettre à l’abri. La fascination de son thérapeute suffira-t-elle à la protéger contre elle-même ?
    Dans un jeu de miroir qui parle du double, Vinciane Moeschler nous entraîne dans les profondeurs de la folie humaine. Si Norman Bates, mythique figure de Psychose, n’est pas loin, c’est aussi une formidable histoire d’amour qui nous est contée ici.

    Première page :

    La première fois, c’était à la venue du printemps.

    Sur le chemin répétitif du collège.

    J’ai quinze ans, je shoote dans les cailloux gris et calcaires avec la pointe de mes tennis.

    Je longe les haies, celles qui seront bientôt parsemées de fruits rouges.

    À mains nues, j’arrache d’un geste machinal les hautes herbes qui se trémoussent au vent piquant.

    Je respire l’odeur d’une branche de lilas.

    Mon sac lourd contient les manuels scolaires que je n’ouvre jamais.

    Pliée sous le fardeau, je me traîne.

    Lorsque j’entends le vacarme du train sur les rails, je sais que j’approche de la gare.

    Sans vraiment m’en rendre compte, j’ai déjà parcouru plus de la moitié du trajet jusqu’à l’école.

    Au moment de passer sous le pont, je trébuche.

    Mon pied cogne un pavé.

    J’en profite pour ralentir l’allure.

    Ce que j'en pense :

    C’est une plongée dans une folie qui peut détruire autour d’elle. L’autrice nous montre, dans un style très original et parfaitement adapté au sujet, une femme qui se débat avec quatre « alters ». C’est bien sûr le passé qui peut donner la clé de ce présent fragmenté, sans pour autant faire accéder à la guérison. C’est un livre rapide à lire mais très intense et puissant, un vrai coup de cœur.

    Alice et les autres

     

     

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  • Lumières d'été puis vient la nuit

    "Lumière d'été, puis vient la nuit" de Jon Kalman Stefansson - Grasset

    Présentation de l'éditeur :

    Dans un petit village des fjords de l’ouest, les étés sont courts. Les habitants se croisent au bureau de poste, à la coopérative agricole, lors des bals. Chacun essaie de bien vivre, certains essaient même de bien mourir. Même s’il n’y a ni église ni cimetière dans la commune, la vie avance, le temps réclame son dû.
    Pourtant, ce quotidien si ordonné se dérègle parfois  : le retour d’un ancien amant qu’on croyait parti pour toujours, l’attraction des astres ou des oiseaux, une petite robe en velours sombre, ou un chignon de cheveux roux. Pour certains, c’est une rencontre fortuite sur la lande, pour d’autres le sentiment que les ombres ont vaincu - il suffit de peu pour faire basculer un destin. Et parfois même, ce sont les fantômes qui s’en mêlent…
    En huit chapitres, Jón Kalman Stefánsson se fait le chroniqueur de cette communauté dont les héros se nomment Davíð, Sólrún, Jónas, Ágústa, Elísabet ou Kristín, et plonge dans le secret de leurs âmes. Une ronde de désirs et de rêves, une comédie humaine à l’islandaise, et si universelle en même temps. Lumière d’été, puis vient la nuit charme, émeut, bouleverse.

    Première page :

    [Nous nous apprêtions à écrire que la particularité du village consistait précisément à n’en avoir aucune, or cette affirmation n’est pas tout à fait juste. Certes, il existe d’autres lieux où la plupart des bâtiments ont moins de quatre-vingt-dix ans, des ports de pêche qui ne peuvent s’enorgueillir d’être le berceau de quelque célébrité, d’aucun individu qui se serait illustré en sport, en politique, en littérature ou dans le domaine du crime. Il semble cependant qu’il y ait un point par lequel notre village se distingue des autres – nous n’avons pas d’église. Non plus que de cimetière. On a pourtant maintes fois tenté de remédier à ce manque, une église donnerait indéniablement de l’allure à notre environnement, le doux tintement des cloches réjouit les âmes en peine ; le glas porte avec lui des nouvelles de l’éternité. Les cimetières sont peuplés d’arbres qui se peuplent à leur tour d’oiseaux qui gazouillent. Sólrún, la directrice de l’école primaire, a tenté par deux fois de lancer une pétition demandant une église, un cimetière et un pasteur. Elle a tout au plus rassemblé treize signatures,…

    Ce que j'en pense :

    On peut se perdre un peu parmi tous ces personnages, mais on s’y perd d’une façon plutôt agréable comme lorsque l’on découvre des gens, une région, un pays… avec leurs côtés bizarres, secrets, drôles, attirants, originaux… C’est un roman rempli d’humour, d’amour et de réflexions (parfois un peu désabusées)sur la vie. L’auteur sait nous emporter dans ce village islandais qu’on a l’impression de connaître un peu plus au fil des pages.

    Lumière d'été puis vient la nuit

     

     

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  • Le treizième conte

    "Le treizième conte" de Diane Setterfield - Pocket

    Présentation de l'éditeur :

    Vida Winter, auteur de best-sellers vivant à l'écart du monde, s'est inventé plusieurs vies à travers des histoires toutes plus étranges les unes que les autres et toutes sorties de son imagination. Aujourd'hui, âgée et malade, elle souhaite enfin lever le voile sur l'extraordinaire existence qui fut la sienne. Sa lettre à Margaret Lea est une injonction : elle l'invite à un voyage dans son passé, à la découverte de ses secrets. Margaret succombe à la séduction de Vida mais, en tant que biographe, elle doit traiter des faits, non de l'imaginaire. Et elle ne croit pas au récit de Vida.
    Dès lors, les deux femmes vont confronter les fantômes qui hantent leur histoire pour enfin cerner leur propre vérité...

    Première page :

    On était en novembre. Il n'était pas encore très tard, et pourtant le ciel était déjà sombre quand j'empruntai Laundress Passage. Père avait fini sa journée : il avait éteint les lumières du magasin et fermé les volets ; mais, de manière à ce que je ne rentre pas dans l'obscurité la plus totale, il avait laissé allumée l'ampoule éclairant l'escalier qui menait à mon appartement. À travers la porte vitrée, celle-ci dessinait un grand rectangle pâle sur le trottoir humide, et c'est au moment où je me tenais là, m'apprêtant à tourner la clé dans la serrure, que je vis la lettre pour la première fois. Autre rectangle blanc qui, sur la cinquième marche en partant du bas, ne pouvait passer inaperçu.

    Je refermai la porte et déposai la clé du magasin à sa place habituelle, derrière les Principes supérieurs de géométrie de Bailey. Pauvre Bailey ! En trente ans, personne n'a jamais réclamé son gros livre gris. Il m'arrive de me demander comment il réagirait à son rôle de gardien des clés de la boutique. Je ne pense pas que ce soit là le destin auquel il ait rêvé pendant les deux décennies qu'il lui a fallu pour rédiger sa grande oeuvre.

    Une lettre. Pour moi. Un véritable événement.

    Ce que j'en pense :

    Dans ce roman : beaucoup de livres (surtout anciens), d’histoires plus ou moins romantiques, de contes avec un côté légèrement gothique, d’aventures un peu mystérieuses, de personnages avec leurs secrets, des jumeaux, un château, un chat, un incendie… et beaucoup d’autres choses ! On se laisse « embarquer » facilement dans ces récits à tiroir, même si on y trouve parfois un côté artificiel et répétitif. Son dernier livre : "Il était un fleuve" est supérieur à celui-ci.

    Le treizième conte

     

     

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