• Dans l’œil noir du corbeau

    "Dans l’œil noir du corbeau" de Sophie Loubière - Pocket

    Présentation de l'éditeur :

    Animatrice d'émissions culinaires, Anne Darney approche de la quarantaine en solitaire. Ses quelques histoires ressemblent à une succession de plats fades en comparaison de son premier boyfriend, Daniel, un Américain rencontré vingt-cinq ans plus tôt. 
    Pour s'affranchir de ce souvenir obsédant, Anne décide de partir à San Francisco. Mais l'affaire 
    " Daniel Harlig " qu'elle découvre là-bas n'a rien d'une bluette... 
    En contrepartie de la préparation d'un festin d'anthologie, le monumental inspecteur Bill Rainbow, un fin gourmet, va accepter de rouvrir pour elle une enquête au goût de cendres.

    Première page :

    "C'est un joli cadavre.

    L'homme approche un doigt du ventre encore tiède, le touche.

    Triste prodige que la mort.

    La dépouille repose sur le ponton de bois craquelé où l'homme est assis, à côté d'une grosse pierre, ses jambes balançant dans le vide au-dessus de l'eau grise. Parfois, les talons de ses bottes en caoutchouc se télescopent, se frottent au silence, et des morceaux de terre agglutinés sous les semelles tombent dans l'étang telle une pluie maudite. Bill ne porte rien d'autre qu'une vieille veste en daim marron doublée de fourrure et une paire de bottes usées.

    De l'autre côté du plan d'eau, le soleil blanchit les cimes des séquoias, efface leurs ramures brisées, avale jusqu'à leurs ombres. La forêt a souffert durant la dernière tempête. On distingue nettement le trajet emprunté par la tornade à travers bois ; des branches s'enchevêtrent au sol, rendant impraticable le sentier qui dessine un ovale autour de l'étang et du bun­galow. Bill va devoir débroussailler, retirer les branchages gorgés d'eau barrant la rive, mettre le bois à sécher…"

    ce que j'en pense :

     Il manque sans doute un peu de rythme dans ce livre. On peut s'ennuyer un peu en suivant les pérégrinations de Bill et Anne dans les épiceries fines de San Francisco. Les deux personnages sont cependant bien campés, avec leur côté parfois antipathique, leurs fêlures, leur solitude, leur passion pour la cuisine.... Ce livre aurait pu être savoureux mais je suis resté un peu sur ma faim.

    Dans l’œil noir du corbeau

    Dans l’œil noir du corbeau

     

     

    __________


    votre commentaire
  • L'été circulaire

    "L'été circulaire" de Marion Brunet - Le livre de poche

    Présentation de l'éditeur :

    Une petite ville du Midi, ses lotissements, son quotidien morne et ses interminables jours d’été. Jo et Céline, deux sœurs de quinze et seize ans, errent entre fêtes foraines, centres commerciaux et descentes nocturnes dans les piscines des villas cossues de la région. Trop jeunes encore pour renoncer à leurs rêves et suivre le chemin des parents qui triment pour payer les traites de leur pavillon.
    Mais quand Céline tombe enceinte, c’est le cataclysme. Comme elle refuse de livrer le nom de son amant, la rage du père se libère, sourde et violente, tandis que la jeune sœur tente de s’extraire du carcan familial et que la mère assiste, impuissante, au délitement de sa famille. Jusqu’à l’irréparable.

    Première page :

    "Chez eux, se souvient Johanna, une main au cul c’était un truc sympa, une façon d’apprécier la chose, de dire « t’as de l’avenir » – à mi-chemin entre une caresse et une tape sur la croupe d’une jument. Les filles avaient des atouts, comme au tarot, et on aurait pu croire que si elles jouaient les bonnes cartes au moment adéquat, il y avait moyen de gagner la partie. Mais aucune d’elles – ni Jo ni sa sœur Céline – n’a jamais gagné aucune partie. C’était mort au départ, atout ou appât, elles pouvaient s’asseoir sur l’idée même du jeu, vu qu’elles n’avaient pas écrit les règles.

    Ce soir, Céline, c’est pas une main au cul qu’elle se prend, c’est une main dans la gueule. Le père, fou de rage, s’en étouffe à moitié. Déjà qu’il n’a pas beaucoup de vocabulaire, là, c’est pire. Il retourne la tête de sa fille de son énorme paluche de maçon ; elle s’écroule sur le sol de la cuisine – un tas de tissu mouillé. Ça fait un bruit bizarre, comme si des petits bouts d’elle s’étaient brisés.

    — C’est qui ?

    Céline est bien incapable de répondre, même si elle avait décidé de parler…"

    Ce que j'en pense :

    En lisant ce roman où on ne cesse de se dire « Ça pourrait être un bon livre, mais il manque quelque chose, ou il y a quelque chose en trop ». L’histoire pourrait être intéressante mais il manque de la chair, de la profondeur. On ne croit pas tout à fait aux personnages (sauf à celui de la sœur). L’écriture essaie de donner corps au désarroi de l’adolescence mais peut parfois prêter à sourire : « …l’enfant endormie près d’elle et ses cercles de parturiente la propulsent en altitude… »

    L'été circulaire

     

     

    __________


    votre commentaire
  • Zébu boy

    "Zébu Boy" de Aurélie Champagne - Monsieur Toussaint Louverture

    Présentation de l'éditeur :

    Madagascar, mars 1947, l’insurrection gronde. Peuple saigné, soldats déshonorés, ce soir, l’île va se soulever, prendre armes et amulettes pour se libérer. Et avec elle, le bel Ambila, Zébu Boy, fierté de son père, qui s’est engagé pour la Très Grande France, s’est battu pour elle et a survécu à la Meuse, aux Allemands, aux Frontstalags. Héros rentré défait et sans solde, il a tout perdu et dû ravaler ses rêves de citoyenneté. Ambila qui ne croit plus en rien, sinon à l’argent qui lui permettra de racheter le cheptel de son père et de prouver à tous de quoi il est fait. Ambila, le guerrier sans patrie, sans uniforme, sans godasses, sans mère, qui erre comme arraché à la vie et se retrouve emporté dans les combats, dans son passé, dans la forêt.

    Roman de la croyance, du deuil et de la survie, Zébu Boy fait naître les fleurs et se changer les balles en eau. Tout entier traversé d’incantations, ce premier roman qui oscille entre destin et pragmatisme, est porté par une langue puissante et fait entendre la voix mystérieuse qui retentit en chaque survivant.

     

    Première page :

    "Quarante-quatre fois treize. Moins soixante-quatorze. Moins soixante. Il trancha :

    « Il m’en faut cent… »

    Un caisson de bois au milieu de la pièce faisait office de guéridon. Ambila y posa une liasse de billets de vingt et tenta vainement d’ériger en piles un tapis de pièces éparses :

    « Quatre cents francs… C’est ce que j’ai. »

    Randrianantoandro éclata d’un rire théâtral.

    « Pour ça, je t’en donne quatre-vingts. Et c’est déjà trop. »

    Ambila se pinça les lèvres. Ses lunettes glissaient sur son nez.

    L’ombiasy était tenu par tous comme le meilleur de l’île. Impossible de repartir avec si peu. Quatre-vingts amulettes. Pas après tout ce chemin. Ni la route à venir. Il insista et, face au refus du sorcier, sortit sa chaussette.

    L’ombiasy resta un moment en arrêt devant les renflements du bas de laine qu’il soupesa d’une main à l’autre. Chaque roulis provoquait un petit bruit sec qui semblait ricocher sur les murs humides. Il vida le contenu sur la caisse.

    Une centaine de dents se dispersa sur le bois au milieu des pièces : incisives, molaires, canines de toute taille et tout aspect. La plupart avaient encore leur émail naturel. Certaines, jaunies de tabac ou d’alcool, paraissaient gâtées, friables. D’autres, serties d’un placage en métal, mouchetées de plombage ou d’amalgame. La plupart étaient composées d’or et roulaient à l’air libre dans un tintement cristallin."

    Ce que j'en pense :

    Voilà un roman original qui évoque de façon documentée le soulèvement de 1947 à Madagascar, insurrection en partie gommée de la mémoire collective en France. En lisant ce livre on pénètre vraiment dans un autre univers social, religieux, culturel…nourri de croyances, de révoltes, de solidarité. C’est parfois déroutant, mais toujours puissant et dépaysant. Cependant la présence d’un lexique pour expliquer les nombreux termes malgaches n’aurait pas été superflue.

    Zébu boy

    Zébu boyZébu boy

     

     

    __________


    votre commentaire
  • Ni poète ni animal

    "Ni poète ni animal" de Irina Teodorescu - Flammarion

    Présentation de l'éditeur :

    Carmen apprend la mort soudaine du Grand Poète, sa seule attache à la Roumanie, au moment où elle traverse un rond-point occupé par un peuple prêt à tout renverser. Alors, elle a comme un éblouissement : les souvenirs d’une autre révolution, conduite par ce poète autrefois dissident, lui reviennent, intacts. 
    1989. Elle avait dix ans et écrivait des poèmes à sa « camarade maîtresse» pendant que sa mère, cachée dans la salle de bains, enregistrait des K7 audio à destination d’une amie passée à l’Ouest et que son père échangeait les savons de son usine contre des petits pains. À l’époque, tout cela lui paraissait aussi banal que la folie de sa grand-mère, surveillée depuis toujours par les autorités, ou que les ours des Carpates dont on disait qu’ils mangeaient les enfants. 
    De quel genre de vague à l’âme naît une révolution ? Est-ce une impulsion animale ou poétique ? En conteuse aussi insolite qu’inspirée, Irina Teodorescu puise dans les souvenirs vifs de son enfance pour mettre en scène trois générations de femmes - et quelques animaux à leur suite - que rien ne préparait à voir la grande Histoire tout bousculer.

    Première page :

    "De mon père j'ai hérité ce goût effronté, j'aime rouler de nuit à travers des gangs d'arbres – et il y a un mot dans ma langue natale pour désigner les arbres auxquels je pense, mais pour le traduire, gang est celui qui s'en approche le mieux.

    Avant-hier j'ai appris dans un journal en ligne, puis dans un autre, qu'un grand poète de mon pays était mort. Peut-être n'était-il pas le plus grand, mais je le connaissais personnellement, alors je me suis mise à chercher les détails concernant sa soudaine disparition. Différents journaux annonçaient la triste nouvelle : le grand poète, héros de la révolution, penseur de la première Constitution libre, ex-Premier ministre, journaliste, talentueux homme d'affaires et oenologue, est décédé, enterrement tel jour telle heure, messe, discours, etc.

    Puisque personne n'était au courant de notre amitié, aucun de ses proches ne m'avait appelée pour me dire quand le grand poète avait trépassé…"

    Ce que j'en pense :

    Roman très original dans sa façon d'aborder l'histoire de la Roumanie en 1989 juste avant la chute de Ceaucescu. Ce qu'en révèle Carmen, une fille de 10 ans, est à la fois poétique, décalé mais aussi formaté par la société roumaine de l'époque. Le style d'écriture, avec ses digressions, ses parenthèses, ses incises entre tirets, en ajoute encore aux incertitudes, questionnements et étonnements de l'enfance face à ce monde à la fois inquiétant et séduisant.

    Ni poète ni animal

    Ni poète ni animalNi poète ni animalNi poète ni animal

     

     

    __________


    votre commentaire
  • La demie de six heures

    "La demie de six heures" de Marie-Hélène Lafon -éditions la guêpine

    Présentation de l'éditeur :

    Cette nouvelle est née en Aubrac, pays majuscule. C'est une histoire d'amour. C'est un vertige...

    Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Depuis vingt ans ses ouvrages sont remarqués pour leur exigence et leur qualité stylistique (Le Soir du chien, L'Annonce, Les Pays. Joseph, Histoires...)

    Première page :

    "Ils allaient dans les bois de hêtres. Ils entraient dedans. Elle allait la première. Elle était dans son regard, et ça lui faisait chaud dans tout le corps de le savoir derrière elle. Ils étaient comme les bêtes le bois les avalait ils coulaient dans son ventre ils connaissaient les sentiers ils les inventaient ça s'écartait pour eux ils passaient. La terre était souple. Sa peau odorante de feuilles et d'herbes, sillonnée d'insectes infimes, craquetait, crissait, bruissait sous eux. Il lui disait mon petit cheval lisse. Leurs mains étaient d'écorce, d'eau et de vent. Le ciel basculait et le monde, tout autour, menait sa danse sourde. La force du sang cognait dans leurs veines serrées. Ils ne voulaient rien d'autre et la lumière du soir les prenait."

    Ce que j'en pense :

    Juste une nouvelle d’une trentaine de pages dans une toute petite maison d’édition. On retrouve l’écriture fine, ciselée et exigeante de l’auteure de « L’annonce », de « Les derniers indiens », de « Joseph » … ainsi que les paysages rudes du massif central (l’Aubrac en particulier). C’est court mais c’est bon.

    La demie de six heures

    La demie de six heuresLa demie de six heures

     

     

    __________


    votre commentaire
  • Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon" de jean-Paul Dubois - l'Olivier

    Présentation de l'éditeur :

    Cela fait deux ans que Paul Hansen purge sa peine dans la prison provinciale de Montréal. Il y partage une cellule avec Horton, un Hells Angel incarcéré pour meurtre.

    Retour en arrière: Hansen est superintendant a L’Excelsior, une résidence où il déploie ses talents de concierge, de gardien, de factotum, et – plus encore – de réparateur des âmes et consolateur des affligés. Lorsqu’il n’est pas occupé à venir en aide aux habitants de L’Excelsior ou à entretenir les bâtiments, il rejoint Winona, sa compagne. Aux commandes de son aéroplane, elle l’emmène en plein ciel, au-dessus des nuages. Mais bientôt tout change. Un nouveau gérant arrive à L’Excelsior, des conflits éclatent. Et l’inévitable se produit.

    Une église ensablée dans les dunes d’une plage, une mine d’amiante à ciel ouvert, les méandres d’un fleuve couleur argent, les ondes sonores d’un orgue composent les paysages variés où se déroule ce roman.

    Première page :

    "Il neige depuis une semaine. Près de la fenêtre je regarde la nuit et j’écoute le froid. Ici il fait du bruit. Un bruit particulier, déplaisant, donnant à croire que le bâtiment, pris dans un étau de glace, émet une plainte angoissante comme s’il souffrait et craquait sous l’effet de la rétraction. À cette heure, la prison est endormie. Au bout d’un certain temps, quand on s’est accoutumé à son métabolisme, on peut l’entendre respirer dans le noir comme un gros animal, tousser parfois, et même déglutir. La prison nous avale, nous digère et, recroquevillés dans son ventre, tapis dans les plis numérotés de ses boyaux, entre deux spasmes gastriques, nous dormons et vivons comme nous le pouvons.

    Le pénitentier de Montréal, dit de Bordeaux pour avoir été construit sur l’ancien territoire d’un quartier éponyme, est situé au numéro 800 du boulevard Gouin Ouest, à la lisière de la rivière des Prairies. 1 357 détenus. 82 mis à mort par pendaison jusqu’en 1962. Autrefois, avant que l’on édifie cet univers de contention, l’endroit devait être magnifique, avec ce qu’il fallait de bouleaux, d’érables, de sumacs vinaigriers et d’herbes hautes couchées par les passages des animaux sauvages. Aujourd’hui, les rats et les souris sont les seuls survivants de cette faune. Et puisque telle est leur nature peu regardante, ils ont repeuplé ce monde clos fait de souffrance encagée. "

    Ce que j'en pense :

    L’auteur sait donner vie à ses personnages même si (et surtout) leur futur est incertain. Le père et le codétenu, en particulier, sont des protagonistes superbes avec leurs folies, leurs passions, leurs fêlures… C’est à la fois drôle et douloureux et c’est écrit avec beaucoup d’élégance et d’émotion, sans pathos. Un bon coup de cœur.

    Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façonTous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

     

     

    __________


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires