• Le pas de l'âne

    "Le pas de l'âne" de Michel Séonnet - Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    Ce pourrait n'être qu'une accumulation de faits divers misérables.
    Élise a quitté mari et enfants et erre sur les routes.
    Noël vit dans la rue et dort dans des containers à poubelles.
    Isabelle est une enfant malade qui meurt autant de solitude.
    Deux filles se pendent à la même poutre d'une usine désaffectée. Loâna abandonne dans la benne à ordures l'enfant sortie de son ventre.
    Hervé, handicapé mental, fugue.
    La vieille Marthe va mourir.
    Des vies de rien. De celles que l'on croise sans les voir au détour d'une rue, d'un article de journal.
    Mais ici, au lieu de se perdre dans l'oubli et l'indifférence, c'est comme si elles venaient se greffer les unes sur les autres. Elles s'éveillent mutuellement. Se poussent en avant un peu comme des boules. Habituellement, dans les romans, les vies se croisent. Ici elles s'ajoutent.
    «Ce n'était peut-être qu'un seul mouvement, répète Élise, un seul mouvement de vie à l'intérieur duquel tout pouvait se déplacer, se transformer, s'échanger.»
    Les ânes sont les artisans de ce mouvement en avant qui vient tirer les personnages de l'oubli. De la mort aussi. Qui les conduit les uns aux autres.
    Le «pas de l'âne», c'est le mouvement de l'écriture elle-même.

    Première page :

    "Où avait-elle déniché ce gosse qui l'accompagnait, gamin enfui, sans doute, un jour de plus que rage, lançant son poing dans la gueule du père trop saoul, trop con, trop violent, et parti sur les routes (le gamin), tombant un beau jour sur cette femme qui avait l'âge d'être sa mère, ne sachant pas qui elle était, d'où elle venait, mais se laissant faire par cette douceur dont il n'avait pas même idée, douceur de mère ou bien d'amante il n'aurait su le dire puisqu'il n'avait connu d'amour que dans les coups et la violence et même ce qu'il avait cru aimer c'était encore taper sur la fille quand ça lui prenait, et le poing dans la gueule du père c'était peut-être pour en finir avec tout ça, même s'il n'avait pu prévoir cette femme sur sa route, sa tendresse, ses caresses, les mots qu'elle lui disait comme de petites histoires, et lui qui écoutait, la tête posée sur son épaule, ou entre ses seins.

    - Allez viens maintenant.

    Et ils reprenaient la marche, ou le stop, sous le regard interrogateur des camionneurs qui du coup dévisageaient la femme comme si c'était une pute - si le petit con la tirait, ils voyaient pas pourquoi ils allaient se gêner -…"

    Ce que j'en pense :

    C'est subtil, profond, sensible, très bien construit et remarquablement écrit, avec des moments d'une  grande force. C'est une très belle découverte (merci à Jean Pierre Simeon qui parle de Michel Séonnet dans son dernier livre "La poésie sauvera le monde"). Pourquoi un tel auteur est-il pratiquement absent des médias ?

    Pour en savoir plus, aller sur son site: http://petitspointscardinaux.net/la-vie-les-livres/

    Le pas de l'âneLe pas de l'âne

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  • Chiennes de vies

    "Chiennes de vies, chroniques du sud de l'Indiana" de Frank Bill - Gallimard

    Présentatioin de l'éditeur :

    Bienvenue dans l'Amérique profonde d'aujourd'hui, où les jobs syndiqués et les fermes familiales qui alimentaient les revendications sociales des Blancs ont cédé la place aux labos de meth, au trafic d'armes et aux combats de boxe à mains nues. Les protagonistes de Frank Bill sont des hommes et des femmes acculés au point de rupture - et bien au-delà. Pour un résultat toujours stupéfiant.
    Si le sud de l'Indiana dépeint par Frank Bill est hanté par un profond sentiment d'appartenance à une région qui rappelle le meilleur de la littérature du Sud, ses nouvelles vibrent aussi de toute l'énergie urbaine d'un Chuck Palahniuk, et révèlent un sens de l'intrigue décapant, inspiré de récriture noire à la Jim Thompson.
    Une prose nerveuse, à vif, impitoyable et haletante, qui fait l'effet à la fois d'une douche glacée et d'un coup de poing à l'estomac.

    Première page :

    "La porte éraflée s'ouvrit à la volée sur Trident et Darnel, qui déboulèrent dans la chambre de motel comme deux décharges de chevrotine. Se servant du lit à la courtepointe imprimée de marguerites pour établir une frontière entre les acheteurs et les vendeurs, Trident planta le Colt 45 dans sa main droite au milieu de la broussaille des sourcils joints de Karl, en même temps qu'il plaçait entre les yeux verts d'Irvine le canon scié calibre 12 qu'il tenait dans sa main gauche. Il éloigna ensuite du matelas les deux jeunes, les fit s'arrêter devant le mur repeint à la nicotine et ordonna : «Lâche les sacs, Karl !»
    Des spasmes convulsifs contractèrent les bras de débardeur de Karl, qui finit par laisser tomber les deux lourds sacs à dos militaires. Irvine, immobile à côté de lui, la poitrine se soulevant et s'abaissant à un rythme précipité, protesta d'un ton geignard, digne d'un vrai cul-terreux du sud de l'Indiana : «Hé, c'est not' deal, merde !»
    Derrière Trident, son grand frère Darnel repoussa d'un coup de pied la porte de la chambre, puis dirigea les deux acheteurs vers la droite du lit, tout contre la table de chevet, avant d'abattre une matraque en cuir lesté sur la pointe de cheveux en haut du front de Dodo Kirby, permettant ainsi aux genoux de ce dernier de lier connaissance avec la moquette trouée à la cigarette. Le cadet de Dodo, Uhl, avança d'un pas, et, dévoilant une mauvaise dentition en damier, articula : «Bordel, mec, tu peux pas...»"

    Ce que j'en pense :

    Il faut bien s'accrocher pour aller au bout de ces 17 tranches de vie très rudes dans cette Amérique profonde : alcoolisme, violence conjugale, drogue, viol, retour de guerres (Vietnam, Afganistan…). C'est sombre, noir, violent, sans espoir et c'est sans doute ce qui fait la limite d'un tel livre de nouvelles.

    Chiennes de vies

    Chiennes de vies

     

     

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  • Les vieux fourneaux

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Les vieux fourneaux" , scénario Wilfrid Lupano, dessin Paul Cauuet - Dargaud

    Présentation de l'éditeur :

    Pierrot, Mimile et Antoine, trois septuagénaires, amis d'enfance, ont bien compris que vieillir est le seul moyen connu de ne pas mourir. Quitte à traîner encore un peu ici-bas, ils sont bien déterminés à le faire avec style : un œil tourné vers un passé qui fout le camp, l'autre qui scrute un avenir de plus en plus incertain, un pied dans la tombe et la main sur le cœur. Une comédie sociale aux parfums de lutte des classes et de choc des générations, qui commence sur les chapeaux de roues par un road-movie vers la Toscane, au cours duquel Antoine va tenter de montrer qu'il n'y a pas d'âge pour commettre un crime passionnel.

    Extrait :

    Les vieux fourneaux

    Les vieux fourneaux

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Cliquer sur l'image pour la voir en plus grand format)

    Ce que j'en pense :

    Une belle histoire, simple, drôle, émouvante, ancrée dans le réel. Les dialogues sont percutants et les dessins des personnages sont très expressifs. Le deuxième tome confirme le talent des deux auteurs avec un petit bémol vers la fin où le côté "engagé" prend un peu trop de place. On attend quand même le tome 3.

    (TLes vieux fourneauxome 1)Les vieux fourneauxLes vieux fourneaux

     

    (Les vieux fourneauxLes vieux fourneauxTome 2)

     

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  • "La poésie sauvera le monde" de Jean Pierre Siméon - Le Passage

    Présentation del'éditeur :

    Depuis des temps immémoriaux, dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, orales ou écrites, il y eut des poètes au sein de la cité. Ils ont toujours fait entendre le diapason de la conscience humaine rendue à sa liberté insolvable, à son audace, à son exigence la plus haute. Quand on n'entend plus ce diapason, c'est bien la cacophonie qui règne, intellectuelle, spirituelle et morale : le symptôme d'un abandon, d'une lâcheté et bientôt d'une défaite. Pour Jean-Pierre Siméon, il est urgent de restituer à notre monde sans boussole la parole des poètes, rebelle à tous les ordres établis. Pas de malentendu : si la poésie n'est pas la panacée, si elle n'offre pas de solutions immédiates, elle n'en est pas moins indispensable, d'urgente nécessité même, parce que chaque poème est l'occasion, pour tous sans exception, de sortir du carcan des conformismes et consensus en tous genres, d'avoir accès à une langue insoumise qui libère les représentations du réel, bref de trouver les voies d'une insurrection de la conscience.

    Extrait :

    "Voilà précisément où je veux en venir : la poésie dont depuis toujours l'unique raison d'être est de donner à voir, puisque par le mythe, le symbole, l'allégorie, la métaphore, la suggestion, elle n'en veut qu'à ce qui déborde le visible immédiat, la poésie est l'irréductible adversaire de la clôture du regard qu'organisé la civilisation du divertissement. Là où le tape-à-l'œil généralisé génère, par saturation, un aveuglement généralisé, elle se fait résolument aveugle à l'effet persuasif et aux séductions du réel objectif pour atteindre du réel la substance sous l'apparence.

    Elle proclame en quelque sorte : bienheureux les aveugles qui voient ce que les bien-voyants, tout à leur contentement repu d'évidences, manquent. René Char le disait ainsi : « Si l'homme ne fermait pas parfois souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d'être regardé. » C'est Homère aveugle qui voit et donne à voir au-delà de l'anecdote (cet éphémère effet du réel) « le sens mystérieux de l'existence », qui hanta à son tour tel de ses lointains successeurs."

    Ce que j'en pense :

    C'est un texte très intéressant, profond, parfois un peu complexe (certaines phrases méritent d'être relues). Mais ça fait du bien de lire ce genre de choses tellement évidentes autour de la poésie alors que le monde est envahi par le narratif, l'informatif et la tyrannie de l'image. Et si c'était vrai ? Si le poème pouvait libérer les consciences, s'il était le remède à la barbarie ? Si l'avenir était poétique ?

    La poésie sauvera le monde

    La poésie sauvera le mondeLa poésie sauvera le monde

     

     

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  • Le collier d'Hélène

    "Le collier d'Hélène" de Carole Fréchette - Lansman

    Présentation de l'éditeur :

    Sur le point de quitter la capitale libanaise où elle séjournait en tant que congressiste, Hélène s’aperçoit tout à coup qu’elle a perdu son petit collier, un collier sans autre valeur qu’affective. Sans trop savoir pourquoi, elle s’aventure à la recherche des lieux qu’elle a rapidement visités au cours des derniers jours, dans l’espoir fou de la retrouver. Un chauffeur de taxi, Nabil, s’impose rapidement comme guide à travers les rues encombrées et les quartiers ravagés. Cette quête la mène jusqu’aux habitants de la ville meurtrie qui opposent leur propre souffrance à son malheur apparemment dérisoire. 

    Extrait :

    "L'homme : Vous avez perdu votre collier ?

    Hélène : Oui, c'est ça, et je me demandais si...

    L'homme : Moi, j'ai perdu ma place sur la terre. Elle n'aurait pas glissé dans vos souliers ? J'ai perdu le carré où je peux poser mes pieds et dire ceci est à moi. Vous ne l'auriez pas trouvé, en vous déchaussant, le carré qui était sous mes pieds ? Et j'ai perdu "plus tard, j'aurai une maison avec un jardin", "plus tard, j'irai voir les pays froids et la neige qui tombe à gros flocons" et "plus tard, mes enfants auront un métier, ils seront médecin, professeur ou camionneur, ils auront une maison et un jardin et une place sur la terre". Et j'ai perdu "regarde mon fils, ma fille, voilà, le monde. Il t'appartient. Prends-le, explore-le, transforme-le. Fais-en ce que tu voudras". Il n'aurait pas glissé dans vos souliers, le futur de mes enfants ? Et j'ai perdu ma capacité de crier, vous ne l'auriez pas trouvée, à vos pieds, ma capacité de crier, de frapper le mur avec mon poing. Vous ne l'auriez pas trouvé mon cri dans votre sac, dans votre blouse, dans votre gosier. Ouvrez votre bouche."

    Ce que j'en pense :

    Très belle histoire qui raconte deux douleurs : la douleur d'exister et la douleur de vivre dans un pays en guerre. C'est d'une grande sensibilité et d'une grande force.

    Le collier d'Hélène

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  • Le silence du diable

    "Le silence du diable" de Leslie Kaplan -POL

    Présentation de l'éditeur :

    Jackie et Lou sont peu à peu obsédés par l’idée du renoncement qui peut survenir à tout moment de la vie ou qui peut même être déjà là, imprégnant tout acte, toute pensée, dès l’enfance. Ce renoncement, cette fin de la pensée, c’est ce que Leslie Kaplan appelle Le Silence du Diable.

    Première page :

    "Le matin il se réveille et il dit à voix haute, Lou.

    Il a une image dans la tête. Une affiche, comme dans un western, avec le mot wanted écrit en gros, et la figure de Lou.

    Désirée, il traduit, et en même temps il donne un coup de poing dans l'oreiller.

    Non, il corrige aussitôt en jetant l'oreiller à travers la pièce. Pas désirée. Recherchée.

    Il se lève.

    Il se dit, une fois debout, qu'il y a dans ce genre d'affiches d'autres mots, mais lesquels. Il a oublié.

    Il s'habille. Il passe un T-shirt, ensuite un pull. Au moment de sortir la tête du pull, il s'arrête, il étend les bras à l'horizontale, la tête est restée à l'intérieur du pull, il tourne sur place, les yeux fermés. Il voit parfaitement Lou, il voit aussi les mots écrits dans le bas de l'affiche, sous la tête de Lou, mais il n'arrive pas à les lire."

    Ce que j'en pense :

    Un livre constitué de petits chapitres, avec une écriture très dense et forte. C'est une réflexion sur la parole, l'écriture, sur le monde de l'art (du théâtre en particulier), sur l'enfant et les réactions ambivalentes que cela provoque, sur la folie qui peut concerner tout le monde.

    Le silence du diable

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  • "La boite aux lettres du cimetière" de Serge Pey - Zulma

    Présentation de l'éditeur :

    Tout commence et s’achève avec la porte de la maison d’enfance. Comment accueillir son monde, un 1er Mai, quand il n’y a pas de table assez grande – tous les bergers descendus de la montagne, les ouvriers agricoles, les camarades fomentant la grève générale ? À bout de bras, le père extirpe alors de ses gonds la lourde porte qu’il vient lui-même de construire et la couche sur deux tréteaux. Pour l’enfant ébahi, c’est le monde qui s’inverse…

    Après le Trésor de la Guerre d’Espagne qui nous avait fait découvrir le singulier talent de Serge Pey, la Boîte aux lettres du cimetière vient confirmer un ton unique dans l’art du récit, avec ces trente histoires cruelles, drolatiques ou tendres – des histoires à couper le souffle, tant par leur beauté immédiate, brutale, que par l’univers à la fois charnel, réaliste et enchanté qui se dévoile à nous.

     

    Première page :

    "Nous étions cinq. Et Maman nous dit que nous allions être sept avec ceux descendus de la montagne. Et quand nous avons vu arriver Francisco le camionneur et Hélios l'aiguiseur de couteaux, Maman a ajouté que nous serions neuf. On traîna alors la table de la cuisine qu'on installa à côté de la table du séjour. Mon frère disposa de nouvelles assiettes et des verres autour du bouquet de fleurs.

    Quand un peu plus tard, notre chien aboya, nous comprîmes que Floridor et Savate étaient aussi au rendez-vous.

    Enfin une voiture s'arrêta devant la porte, et ceux de la montagne, que nous attendions depuis le début de la matinée, descendirent avec deux inconnus. Maman dit alors à Papa que nous étions devenus douze, que midi allait sonner et qu'il n'y avait pas assez de place pour tout ce monde…"

    Ce que j'en pense :

    C'est une évocation poétique de l'enfance de l'auteur, hanté par la guerre civile espagnole. C'est souvent drôle, émouvant, politique, burlesque, parfois cruel. Les personnages y sont très originaux (comme le chasseur de grillon, le guitariste ou la tante Hirondelle). Après avoir refermé ce livre on a envie de se rendre à Collioure sur la tombe du poète Antonio Machado et d'y retrouver cette boite aux lettres.

     

     

     

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  • Aux animaux la guerre

    "Aux animaux la guerre" de Nicolas Mathieu - Actes sud (actes noirs)

    Présentation de l'éditeur :

    Une usine qui ferme dans les Vosges, tout le monde s'en fout. Une centaine de types qui se retrouvent sur le carreau, chômage, RSA, le petit dernier qui n'ira pas en colo cet été, un ou deux reportages au 19/20 régional et puis basta. Sauf que les usines sont pleines de types dangereux qui n'ont plus rien à perdre. Comme Martel, le syndicaliste qui planque ses tatouages, ou Bruce, le bodybuilder sous stéroïdes. Des types qui ont du temps et la mauvaise idée de kidnapper une fille sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux caïds qui font la pluie et le beau temps entre Epinal et Nancy. Une fille, un Colt 45, la neige, à partir de là, tout s'enchaîne. Aux animaux la guerre, c'est le roman noir du déclassement, des petits Blancs qui savent désormais que leurs mômes ne feront pas mieux et qui vomissent d'un même mouvement les patrons, les Arabes, les riches, les assistés, la terre entière. C'est l'histoire d'un monde qui finit. Avec une fille, un Colt .45, la neige.

    Première page :

    "Cet automne-là, on tuait en plein jour. En pleine rue. En toute bonne foi.

    Le centre d'Oran était tout barbouillé de slogans. Trois lettres majuscules résonnaient sur les murs jaunis, suscitant l'espoir ou bien la peur, selon qu'on voulait rester ou les voir partir. Comme si la guerre faisait de la réclame.

    Le fond de l'air était chargé d'une perpétuelle odeur de bois brûlé. Les jeunes filles ne se promenaient plus, bras dessus bras dessous, affriolantes et farouches sur les boulevards ascendants. Les beaux bruns en mocassins avaient rangé leurs sourires. Ils lisaient les journaux et affichaient des mines butées aux terrasses des cafés.

    Dans les quartiers européens, on dormait mal et la chaleur n'avait rien à y voir. Sous les oreillers, des pères inquiets planquaient des revolvers d'avant-guerre. Les grands-mères mêmes, hagardes et venimeuses, se préparaient à tuer ou mourir.

    Oran était une monstrueuse pièce montée, un imbroglio de monuments pompeux et de rues étroites où la peur et la haine coulaient comme des oueds au printemps.

    Quand tombait le soir, on s'attardait encore sur les places, à l'ombre des figuiers, pour jouer aux cartes ou boire une anisette en bavardant. Mais déjà, plus personne ne croyait à cette douceur de vivre. Les hommes avaient perdu le rythme. Leur ton était bas, leurs gestes plus mesurés. Ils passaient sur leurs nuques des mouchoirs brûlants, s'épongeaient avec lassitude. La blancheur n'existait plus. Les draps, les chemises, les jupons avaient un air continuellement malpropre…"

    Ce que j'en pense :

    L'intrigue est maîtrisée, les personnages (nombreux) sont bien campés, l'environnement social et la région des Vosges sont présents… C'est donc un bon premier roman. Évidemment il reste à l'auteur quelques petites marches à franchir avant d'arriver au niveau de Pierre Pelot, Vosgien lui aussi. On attend donc confirmation dans un second roman.

    Aux animaux la guerre

    Aux animaux la guerre

     

     

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  • Voyage au coeur d'une France fasciste et catholique intégriste

    "Voyage au coeur d'une France fasciste et catholique intégriste"

    par Mathieu Maye et Rémy Langeux - Cherche midi

    Présentation de l'éditeur :

    Aujourd'hui, en France, il y a des écoles où des enseignants, ouvertement racistes, apprennent à nos têtes blondes que Pétain est un sauveur, que Dreyfus est coupable, que les SS sont de simples CRS et que l'Holocauste est une pure invention...

    À l'heure où l'Hexagone s'interroge sur son extrême droite, où les discours de plus en plus policés de ses dirigeants permettent de penser que « l'extrême droite, à tout prendre, ce n'est peut-être pas si mal », voici le récit d'une immersion implacable, palpitante, résultat de six mois d'infiltration par deux journalistes d'investigation. Ils ont vécu au cœur d'un groupe fasciste basé à Bordeaux – proche de l'Institut du Bon Pasteur où oeuvre l'abbé Laguérie, ancien curé de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris –, qui mélange foi chrétienne et entraînements paramilitaires. 

    L'extrême droite comme vous ne l'avez encore jamais lue. 

    Un document choc, effrayant.

    Extrait :

    "Au début de notre infiltration, nous souhaitions uniquement faire un travail sur l'extrême droite. Vivre au plus près de cette jeunesse néofasciste afin de l'entendre parler et de la voir agir, comme personne ne peut le faire. Puis, très rapidement, nous avons été amenés à étendre notre infiltration à la mouvance catholique intégriste issue du courant lefebvriste car, dans ce cas précis, le lien entre les deux univers est des plus directs et il va nous mener très loin, à la source de l'éducation radicale. Un constat s'impose, tant par l'analyse historique que par l'étude empirique que nous avons réalisée : extrême droite et catholiques traditionalistes se rejoignent fréquemment tant sur le fond que sur les méthodes de reconquête des esprits.

    Au sortir du concile Vatican II, en 1965, la frange intégriste dite «traditionaliste» est essorée; non seulement elle n'a pas réussi à arrêter la « révolution » dans l'Église mais, en plus, elle se retrouve rejetée sur les marges, ne pouvant compter que sur une poignée de prélats de haut rang pour la soutenir. Dispersés, affaiblis, ils vont peu à peu se reconstruire. Ils refondent des prieurés, des séminaires, des écoles, jusqu'à devenir aujourd'hui une Église à côté de l'Église officielle. Alors, ce qui anime désormais la mouvance catholique traditionaliste, ce n'est plus sa survie mais bien la reconquête de l'Église et de la société. De ce point de vue, elle se retrouve en tout point avec l'extrême droite radicale. C'est pourquoi l'approche de l'une nous a conduits directement dans les bras de l'autre."

    Ce que j'en pense :

    On doute parfois de l'authenticité de ce document tellement les paroles transcrites sont effrayantes. Mais on sait que de tels groupes existent et on les a vus à l'œuvre lors des manifs anti mariage pour tous ou lors de rassemblements contre Mme Taubira. Après la lecture de ce livre la question se pose : que pouvons nous faire pour lutter contre cet obscurantisme ?

    Voyage au coeur d'une France fasciste et catholique intégriste

    Voyage au coeur d'une France fasciste et catholique intégriste

     

     

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  • En face

    "En face" de Pierre Demarty - Flammarion

    Présentation del'éditeur :

    Un homme, un jour, sort de chez lui, traverse la rue, et entre dans l'immeuble d'en face. Il n'en sortira plus - ou presque. C'est le début d'un étrange voyage immobile, qui l'entraînera dans des rêveries de grand large et des épopées insensées. A quoi ressemble le monde quand on a décidé de lui tourner le dos? Et que viennent faire là-dedans Paimpol, l'Islande, les goélettes et la philatélie ? Ça, il n'en sait rien encore, nous non plus, on va bien voir. Évoquant Bartleby et Blondin, Echenoz et Jarmusch par son humour autant que son univers mystérieux, En face nous embarque dans un drôle de périple, bercé de ritournelles et ponctué d'images fabuleusement déjantées. On s'y plonge comme dans une énigme; on en sort comme d'un songe.

    Première page :

    "Le 3 octobre, à cinq heures, un homme, dont le nom ne vous dira rien (lui-même ne vous en dirait guère plus), sort de son appartement, referme doucement la porte derrière lui, descend les escaliers, sort de l'immeuble, marque un temps d'arrêt, un dernier temps d'arrêt, à moins que ce ne soit le premier, traverse la rue, et voilà, c'est la dernière fois que Jean Nochez (appelons-le Jean Nochez) franchit le seuil de chez lui, ça y est, c'est décidé, ça a mûri et maintenant c'est décidé, encore que, décidé, le mot est fort, il sort, pour la dernière fois du moins avant longtemps, il ne sait pas encore combien de temps exactement, moi non plus, ni vous, on va bien voir.

    En tout cas c'est Solange qui va en faire, une tête."

    Ce que j'en pense :

    C'est un roman où il ne se passe rien mais le narrateur nous prend à témoin, comme si nous partagions quelques verres dans un bar, et il nous cause de cet homme qui va vivre en face de chez lui. Les digressions sont nombreuses et assez réjouissantes (jeu avec des références littéraires, des chansons, des expressions courantes…). On peut mettre un peu de temps à rentrer dans cet univers à l'écriture soignée (parfois un peu trop).

    En face

    En faceEn face

     

     

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