• Les visages écrasés

    - Nouvelles

    "Les visages écrasés" - Marin Ledun
    Seuil

    Présentation de l'éditeur : 

    " Le problème, ce sont ces fichues règles de travail qui changent toutes les semaines. Ces projets montés en quelques jours, annoncés priorité-numéro-un, et abandonnés trois semaines plus tard sans que personne ne sache vraiment pourquoi, sur un simple coup de fil de la direction. La valse silencieuse des responsables d'équipes, toujours plus jeunes et plus inflexibles, mutés dans une autre agence ou partis par la petite porte. (...) L'infantilisation, les sucettes comme récompense, les avertissements comme punition. La paie, amputée des arrêts maladie, et des primes au mérite qui ne tombent plus. Les objectifs inatteignables. Les larmes qui montent aux yeux à tout moment, forçant à tourner la tête pour se cacher, comme un enfant qui aurait honte d'avoir peur. Les larmes qui coulent pendant des heures, une fois seul. Mêlées à une colère froide qui rend insensible à tout le reste. Les injonctions paradoxales, la folie des chiffres, les caméras de surveillance, la double écoute, le flicage, la confiance perdue. La peur et l'absence de mots pour la dire. Le problème, c'est l'organisation du travail et ses extensions. Personne ne le sait mieux que moi. Vincent Fournier, 13 mars 2009, mort par balle après ingestion de sécobarbital, m'a tout raconté. C'est mon métier, je suis médecin du travail. Ecouter, ausculter, vacciner, notifier, faire remonter des statistiques anonymes auprès de la direction. Mais aussi : soulager, rassurer. Et soigner. Avec le traitement adéquat. " Un roman noir à offrir de toute urgence à votre DRH.

    Première page : 

    "Vincent Fournier lève sur moi un visage cadavérique. Traits tirés, poches noires sous les yeux et barbe de trois jours. Son sweat-shirt gris anthracite délavé, trop large d'une ou deux tailles, accentue sa maigreur épouvantable. Il se laisse aller contre le dossier de son fauteuil, croise les bras et se mure dans le silence. 

    J'extrais un stylo du porte-crayon, en prenant soin de ne pas faire de bruit, et j'attrape une feuille vierge que je glisse sur le sous-main en plastique. 

    J'écris : insomnies chroniques, traitement inefficace. 

    Mon regard se pose sur l'horloge du cabinet au-dessus de lui. 19h34. Plan serré sur les aiguilles, contre-plongée sur le mur; un fil électrique court le long de la plinthe avant de disparaître sous la moquette industrielle. 

    Je reprends le stylo et je note : diarrhées, apathie, fatigue chronique, perte de poids - 16 kilos en deux mois. 

    Je trace un cercle autour du nombre 16 d'un geste résigné. 

    Face à moi, Vincent Fournier se recroqueville un peu plus. 

    J'ajoute: idéations suicidaires, récidive possible, forte probabilité de passage à l'acte, inaptitude au poste. Arrêt de travail indispensable et urgent. 

    Je souligne trois fois urgent et remets le stylo à sa place. Puis je glisse la feuille dans son dossier, le referme et le range. Le tiroir métallique percute le fond du bureau avec un claquement sourd. 

    Vincent Fournier est en larmes. 

    La consultation est presque terminée."

     Ce que j'en pense : 

     Un roman très noir qui se passe dans le monde du travail (ce n'est pas si fréquent). C'est un cri de rage et de colère (et sans doute d'impuissance). Plongée sans concession et dérangeante dans un milieu où la rentabilité est reine.

       

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