• La confession d'un bâtard du siècle

     

    "La confession d'un bâtard du siècle" de Ludovic Janvier
    Fayard

    Présentation de l'éditeur :

    Il a hérité de son père inconnu un teint pâle et des cheveux clairs et sa mère est antillaise. «Vous êtes sûrs qu’il est de moi?». Ce n’était pas un bon début.

    Dans la France en guerre, tantôt à Paris, tantôt en Gironde, bègue, il tâche de grandir, seul, ou même pas, car sa mulâtre absente quand ça lui chante essaie de temps en temps de lui faire croire qu’elle est sa mère. Mais s’il fait une bourde elle lui jure bien qu’elle lui pardonne, et lui promet un baiser pour qu’il s’approche à portée de gifle. Mulâtre et traitresse.

    Jeune homme il rêve d’être boxeur. Pourtant ce n’est pas la violence qui domine en lui. Un jour, à l’étude, ses devoirs achevés, le voilà qui prend sa plume. Et il écrit. Jubilation de «se voir d’en haut». Dès lors il sait qu’il ne sera plus jamais seul de la même façon. A côté de lui se tient sa propre voix qui le fait sourire.

    Extrait :

    "Tu aimes rester longtemps debout sous l'odeur du figuier, tu aimes écouter le grince­ment de la brouette pleine d'herbe aux lapins, tu aimes rentrer lentement de la messe en freinant la journée du dimanche, tu aimes écouter le tom­bereau passer à vide avec son bruit carré, tu aimes les énormes jambes de Lisette la jument avec ses poils comme des gros cheveux, tu aimes le sifflement de la meule mouillée quand on aiguise les serpes et les faucilles, tu aimes cueillir les arbouses sur leur arbre en bordure du bois, tu aimes quand tu te torches avec des poignées d'herbe et qu'on entend le coucou, tu aimes quand l'orage noir éclate en tonnes de pluie qui mitraillent, tu aimes le silence à midi avec au milieu le bruit du seau qu'on remonte du puits, tu aimes le froissement de drapeau fait par les ailes de la buse qui remonte au ciel, tu aimes écouter le vent dans les feuilles du petit palmier qu'on appelle satre, tu aimes fixer le feu dans la cheminée et rougir lentement grâce à lui, tu aimes le vin blanc doux avec son épaisseur plein la bouche, tu aimes voir arriver sur le chemin le gros facteur congestionné sur son vélo qui zigzague, tu aimes l'odeur de corne brûlée qui vient de chez le maréchal-ferrant, tu aimes le Tantum ergo qu'on chante aux vêpres avec son goût d'automne,..."

    Ce que j'en pense :

    Une autobiographie ? Un roman ? De toute façon ce texte est assez jubilatoire ; il y a au fil des pages, de la poésie, de la rage, de la vengeance, de l'amour, du sexe… et sans aucun doute de la belle littérature.

       

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  • Petit éloge des saisons

    "Petit éloge des saisons" par Pierre Pelot
    François Bourin éditeur

    Présentation de l'éditeur :

    On sort tout juste de l’hiver. Au printemps, le ciel est bleu et lisse comme un crâne de Schtroumpf sans bonnet, les loups sont de retour, les pollens et le redoux se rappellent à notre bon souvenir. L’été peut cacher des ciels lourds d’un poids mouillé de linge sale, les orvets se coupent en deux, les renards pointent leurs reflets de flammes, et les brimbelles nous font les dents bleues. L’automne se mijote avec les patates au lard. Pour la Toussaint, on pourrait préférer le mimosa au chrysanthème. L’hiver crisse, la lumière du jour nous met en garde à vue basse, il nous faut faire des voeux en attendant le printemps.

    Bientôt.

    Première page :

    "Ainsi le temps qui passe, passe.

     À une virgule près, qu'un trait d'union sournois aurait fait tomber en bas du bout du banc, on voudrait nous induire dans l'erreur de croire qu'il n'existe même pas, qu'il aurait disparu? Volatilisé le temps passe-passe, passe murailles à travers les cloisonnements qui font la solide armature de l'année ? Nous faire croire qu'il n'est que jeu, en somme, un vulgaire passe-temps.

    Qui sont, où se cachent ces hérauts alarmistes qui nous serinent régulièrement, au moindre carrefour de quelques pauvres sentes, qu'il n'y a plus de saisons ? Où se terrent-ils, à défaut de se taire, qu'on puisse les extirper, les éjecter de leurs douillets cocons, ces annonciateurs de misère ?"

    Ce que j'en pense :

    Pelot nous réserve, comme à son habitude, de merveilleux petits textes autour des saisons. On y retrouve son humour, sa causticité, sa tendresse pour sa région des Vosges et pour ses habitants.

      

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  • Marguerite Duras La passion suspendue

    Marguerire Duras, La passion suspendue"
    entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre - Seuil

    Présentation de l'éditeur:

    « Pendant des années, j’ai eu une vie sociale et la facilité avec laquelle je rencontrais les gens ou je leur parlais se reflétait dans mes livres. Jusqu’à ce que je connaisse un homme, et peu à peu, toute cette mondanité a disparu. C’était un amour violent, très érotique, plus fort que moi, pour la première fois. J’ai même eu envie de me tuer, et ça a changé ma façon même de faire de la littérature : c’était comme de découvrir les vides, les trous que j’avais en moi, et de trouver le courage de les dire. La femme de Moderato Cantabile et celle de Hiroshima mon amour, c’était moi : exténuée par cette passion que, ne pouvant me confier par la parole, j’ai décidé d’écrire, presque avec froideur. »

    Entre 1987 et 1989, après le succès foudroyant de L’Amant qui fait d’elle un écrivain mondialement reconnu, Marguerite Duras se confie en toute liberté à une jeune journaliste italienne sur sa vie, son œuvre, son obscurité, puis sa gloire, la politique, la passion. Ce dialogue a paru une fois en langue italienne et avait disparu, ignoré des admirateurs de Duras qui vont ici réentendre sa voix.

    Extrait :

    "Comment vous décririez-vous enfant?

    Petite, je l'ai toujours été. Personne ne m'a jamais dit que j'étais mignonne, il n'y avait pas de miroir où se regarder chez nous.

    Quels sont vos souvenirs les plus anciens?

    C'est entre les plateaux, l'odeur de la pluie, du jasmin, de la viande, que j'isole les premières années de ma vie. Les après-midi épuisants en Indochine nous semblaient, à nous, enfants, renfermer cette impression de défi envers la nature étouffante qui nous entourait. Une impression d'interdit et de mystère pesait sur la forêt. Cette période nous plaisait tant, à mes deux frères et à moi, que nous nous aventurions, nous désenchevêtrant des lianes et des orchidées entremêlées, risquant à chaque instant de tomber sur des serpents ou, je ne sais pas, des tigres.

    Après la mort de votre père, à 4 ans, vous êtes restée avec votre mère et vos deux frères.

    Maintenant qu'ils sont tous morts, je peux en parler tranquillement. La douleur m'a abandonnée. Le plus jeune de mes frères avait un corps maigre, agile - il me rappelait, Dieu sait pourquoi, celui de mon premier amant, le Chinois. Il était silencieux, effrayé, et je n'ai pas pu me détacher de lui jusqu'au jour où il est mort. L'autre était un voyou, sans scrupule, sans remords, peut-être même sans aucun sentiment. Autoritaire, il nous faisait peur. Je l'associe maintenant encore au personnage de Robert Mitchum dans «la Nuit du chasseur», un mélange d'instinct paternel et d'instinct criminel. C'est de là, je crois, que provient cette méfiance que j'ai toujours éprouvée envers les hommes."

    Ce que j'en pense :

    Nous retrouvons dans ce livre la voix de Duras, entière, définitive, méchante parfois mais souvent très lucide sur la littérature, le cinéma, les artistes et sur sa vie intime. Un petit bémol : les questions sont parfois beaucoup plus longues que les réponses! 

     

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  • Testament d'un paysan en voie de disparition

    "Testament d'un paysan en voie de disparition" de Paul Bedel
    avec Catherine Ecole-Boivin, Presses de la renaissance

    Présentation de l'éditeur :

    Et si Paul Bedel, paysan de la pointe de la Hague reste par choix à la traîne du progrès, vous racontait sa vie d'agriculteur? S'il vous révélait ses " houoles ", ses coins pour pêcher le homard? S'il vous présentait ses vaches, Echalote, qui " sentait l'oignon " ou Copine, " toujours sympa avec tout le monde "? S'il vous parlait " des choses qui n'arrivent qu'aux vivants ", de ses coups de gueule, de ses coups de vie? Avec le succès du livre Paul dans les pas du père et du film Paul dans sa vie, Paul Bedel est devenu le passeur d'un monde en voie de disparition. Chaque année, des centaines de personnes lui rendent visite pour l'entendre témoigner de ce choix de vie, celui d'une existence toute simple. Avec ce Testament, Paul Bedel vous invite vous aussi à boire une tasse de café accompagnée de petits-beurre, sur une table en bois patinée par les ans, et à l'écouter. En refermant ce livre, vous aurez le sentiment d'avoir rencontré un homme bon, serein et clairvoyant. L'impression de la terre, son silence et sa liberté.

    Première page :

    J’suis un paysan sans histoire, un matériel d’avant guerre, né le 15 mars 1930 «à la ferme», dans une petite commune de la Hague, au bout de la terre d’Auderville.

    Je m’appelle Paul Bedel.

    Jeune sacristain, quand je sonnais le trépas, je souriais sans penser à mon dernier moment. Je tirais à bras, ça tirait dur. C’est long, quand t’es seul pendu au bout d’une corde ! Pauvre Gusto ! Le corps suivait, je rendais hommage à ma manière au bonhomme ou à la bonne femme s’envolant pour le paradis. Ça pouvait durer jusqu’à une demi-heure, suivant le niveau social de la personne morte. Ça et le travail de la terre, ça m’a fait les muscles et les os. Maintenant qu’on est au tout-électrique, j’actionne trois manettes et j’annonce. Chacun dorénavant a le droit au même temps de cloches. Notre campanile en possède deux. C’est pas plus mal, le même temps pour tous, puisque, dans le cimetière, t’es plutôt dans le bas niveau pour tout le monde.

    Ce que j'en pense :

    C'est un témoignage souvent émouvant, parfois drôle qui montre que l'on peut vivre (et bien vivre) en dehors d'un système basé sur l'endettement, la recherche de la rentabilité à tout prix. Le seul bémol à apporter est au niveau de l'écriture. C'est Catherine Ecole-Boivin qui a recueilli les paroles de Paul Bedel mais elle n'a pas su restituer la voix de ce paysan hors norme.


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  • Les oeuvres de miséricorde

    "Les oeuvres de miséricorde" de Mathieu Riboulet
    Verdier

    Présentation de l'éditeur :

    Donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts : tels sont les impératifs moraux édictés par l’Église sous le nom d’œuvres de miséricorde, que le Caravage a illustrés dans un tableau conservé à Naples, et dont tous ceux nés en culture chrétienne sont imprégnés, même s’ils ne les connaissent pas. Ces injonctions morales sont ici mises à l’épreuve de l’expérience – réelle ou imaginaire.

    «Il m’a fallu comprendre comment le Corps Allemand, majuscules à l’appui, après être entré à trois reprises dans la vie française par effraction (1870, 1914, 1939), continue à façonner certains aspects de notre existence d’héritiers de cette histoire. Chemin faisant, j’ai tenté d’y voir un peu plus clair dans les violences que les hommes s’infligent – historiques, guerrières, sociales, individuelles, sexuelles, massivement subies mais de temps à autre, aussi, consenties –, dont l’art et la sexualité sont le reflet et parfois la splendide, indépassable, bienheureuse expression, et de les lier du fil de cet impératif de miséricorde qui fonde notre culpabilité pour être, de tout temps et en tous lieux, battu en brèche.  »

    Extrait :

    "Parfois je descends aussi du plateau calcaire où je vis pour des destinations plus triviales, me ravitailler, voir du monde, trouver un garçon à aimer, toutes choses quasiment impossibles à concrétiser sur ces hautes terres où ne souffle que le vent qui en été rabat ces longues graminées qu’on appelle cheveux d’ange, en hiver clôt le monde en apportant la neige. De toutes les incongruités que génère la vie que nous nous fabriquons, d’un accord de moins en moins commun, de plus en plus tacite, certes, mais que nous fabriquons, la floraison des longues galeries marchandes à la périphérie des villes n’est pas la moindre, mais elle n’est pas, tant s’en faut, la plus accablante, car il s’y est rapidement inventé des usages plus ou moins détournés qui relèguent de temps à autre leur fonction commerciale au second plan, ce qui est une victoire, modeste mais réelle, sur le rôle d’hommes économiques auquel nous assigne le dieu Commerce qui par ailleurs prospère avec notre actif concours. On peut ainsi, du moins dans les provinces mordues par l’oubli et le givre, terriblement continentales, à Rodez, au Puy, à Mende, à Aurillac, y trouver le pain, le sel, le vin et le garçon qui se laissera convaincre de prolonger ses courses d’une étreinte rapide mais dense, précise, dans le temple même du commerce ou dans quelque bosquet discret des alentours. Puis il regagnera, la chose faite, une petite amie en ville, une ferme isolée à quelques kilomètres, un travail de routine ou une ivresse feinte. C’est à cela que servent à des gars dans mon genre les vallées où l’on vit, l’on échange et l’on passe."

    Ce que j'en pense :

    C'est à la fois un récit autobiographique, un essai, une méditation... sur l'Histoire, la violence, sur les guerres passées, sur le corps (en général et sur son corps en particulier). C'est certainement très bien écrit mais il faut assez souvent revenir en arrière pour comprendre certains passages.  Au final, c'est presque une déception, comparé au plaisir de lecture de ses précédents livres : "Quelqu'un s'approche", "L'amant des morts".

     

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  • Album

    Album de Marie-Hélène Lafon
    Buchet Chastel

    Présentation de l'éditeur :

    Ma rivière d’enfance a nom Santoire. Elle borna le monde, c’est définitif, elle fut l’été, la plage d’ardoise, et l’immobile après-midi d’août, le temps arrêté dans le babil lumineux de son lit de cailloux. Elle fut de chaque hiver, et des printemps brefs, haute, pressée d’en finir, se hâtant, tournoyant à bout de gris, cinglant les branches nues et penchées. Horizontale, insolente et enfuie. 

    C’est un abécédaire choisi, où l’on irait de Arbres à Vaches en passant par Chiens, Journal, ou Tracteurs. 

    Ce serait l’os des choses, leur velours ; et comme une déclaration d’amour répétée vingt-six fois.

    Extrait :

    "Bottes

    Elles sont volontiers vertes, d'un vert modeste et contrit, ou rousses, voire cuivrées, façon vache salers; elles ne sont pas noires, ni bleues, on n'est pas au bord de la mer, on n'est pas au manège, on vient de l'étable, on y retourne; les bottes agricoles sont d'abord faites pour ça, pour le fumier, le lisier, la merde dans tous ses états, solide, liquide, grasse, grumeleuse, compacte, en croûte, en ruisseaux, en flaques étales; les bottes sont faites pour la bouse dont elles se rient, retrouvant leur virginité au premier coup de brosse sous le jet d'eau ou en trois pas dans le mouillé de l'herbe..."

    Ce que j'en pense:

    Il s'agit bien d'un album puisque ces textes "donnent à voir". Écriture simple (avec parfois un peu trop d'adjectifs), poétique et non dépourvue d'humour pour décrire l'univers du paysan : objets, animaux, saisons, odeurs... Un livre qui sent bon la terre.

      

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  • Ça m'agace !

    "Ça m'agace" de Jean-Louis Fournier
    éditions Anne Carrière

    Présentation de l'éditeur :

    Il y aura toujours une mite dans ma commode, un moustique dans ma chambre, un camion devant moi, un serveur vocal pour me répondre, un humoriste qui ne me fait pas rire. Et un désespéré pressé, pour se jeter sous mon TGV. Je ne serai jamais content.

    Première page :

    "Les musiciens du métro jouent faux, les désespérés se jettent sous mon TGV, le serveur vocal ne me dit pas un mot gentil, une mite a fait un trou dans mon pull, les croissants sont mauvais, les moustiques me piquent, ma voisine joue du karcher, l'humoriste ne me fait pas rire, les camions m'empêchent de doubler, les pigeons me chient sur la tête...

    Ça m'agace."

    Ce que j'en pense :

    Une quarantaine de jérémiades de vieux grognon ! C'est du Fournier facile ! Pas la force de "Où on va papa ?" par exemple... mais c'est vite lu, délassant et ça fait du bien de râler avec lui sur quelques thèmes.

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  • Le roman d'Ernest et Célestine

    "Le roman d'Ernest et Célestine" de Daniel Pennac
    Casterman

    Présentation de l'éditeur :

    Un ours et une souris amis ? Jamais ! Scandaleux ! Absolument interdit !
    - C'est compris Célestine ?
    - Ernest, c'est compris ?¨
    Pourtant, personne ne pourra empêcher Ernest et Célestine de devenir les meilleurs amis du monde. personne, vous m'entendez !
    C'est le roman de cette amitié, conquise sur tous les préjugés, que Daniel Pennac nous raconte ici.

    Première page :

    "Célestine : Bonjour. Moi, c'est Célestine. Je suis une souris. Une « petite souris », comme ils disent. Vous avez remarqué qu'ils disent toujours une «petite souris»? Quand ils n'ont pas peur bien sûr. Quand ils ont peur, ils te montrent du doigt en hurlant : « une SOURIS ! UNE SOURIS ! ». Ils crient aussi fort que s'ils voyaient un ours dans leur salle de bains. Et ils te courent après avec un balai. Enfin, les plus courageux... Les autres sautent sur une chaise en continuant à crier : « une souris ! une souris ! ».

    Mais quand ils n'ont pas peur, quand ils parlent de toi sans te voir, ils disent toujours «une petite souris». Surtout quand ils racontent une histoire : « II était une fois une petite souris...»."

    Ce que j'en pense :

    Pennac s'est inspiré des albums de Gabrielle Vincent pour écrire, comme il sait le faire, un conte malicieux et plein d'humour. Au fil du récit, il fait intervenir Ernest et Célestine mais également l'auteur et le lecteur. Ce livre, qui s'adresse à tous, est fait pour être lu à voix haute.

      

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  • Préhistoires

    "Préhistoires" de Jean Rouaud
    folio Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    C'est la plus belle énigme de l'histoire du monde. Litanie de splendeurs : Lascaux, Rouffignac, Niaux... Ceux qu'on imaginait en brutes épaisses tout juste descendues du singe en savaient aussi long que nous sur la meilleure part de nous-mêmes. Il nous reste à imaginer ce qui leur passait par la tête, comment ils en vinrent à s'enfoncer sous terre, en rampant parfois, pour inventer le premier coup de pinceau et peindre des merveilles.

    Un essai sur les débuts de l'histoire humaine et la naissance de la création artistique, par l'auteur des Champs d'honneur (prix Goncourt 1990).

    Extrait :

    "Tiens, le feu justement, qui nous a déjà tant apporté — ces ombres géantes qu'il projette sur le fond de l'abri, est-ce qu'il n'en détiendrait pas le secret de fabrication ? L'autre soir, alors que quelqu'un mouchait une torche, c'est-à-dire la frottait pour l'empêcher de fumer, notre dompteur de créatures a pensé que cette balafre noirâtre laissée sur la paroi pourrait lui éviter le fastidieux travail de gravure, les burins de silex, outre leur maniement incommode et un manque certain de précision, lui mettant les doigts en sang. Il s'est saisi d'un tison éteint, puis, de sa démarche bringuebalante, s'est approché d'un panneau de pierre. Et là, devant la petite troupe stupéfaite qui écoutait un énième récit de chasse miraculeuse, le geste grandiloquent du conteur qui tailladait l'air de sa main et observait le manège de son rival par-dessus leurs têtes est resté en suspens. Comme sa parole. Tous les regards se sont alors retournés vers l'ombre découpée d'un petit cheval au ventre rond contre la paroi, comme s'il paissait à côté d'eux, nullement dérangé par leur présence, au lieu que d'habitude il part au grand galop dès qu'il détecte dans un souffle de vent l'odeur de ces drôles de créatures qui lancent sur eux une partie de leur bras, comme on lance de mauvais sorts."

    Ce que j'en pense :

    C'est une réflexion sur la vie de  nos ancêtres préhistoriques, très subtile, pleine d'humour et d'une grande qualité littéraire. Ces trois courts textes se dégustent le sourire aux lèvres.

       

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  • Et il dit

    "Et il dit" de Erri De Luca
    traduction Danièle Valin - Gallimard

    Présentation de l'éditeur :

    Un homme dont on ne connaît pas le nom est retrouvé, épuisé, au bord d'un campement. Alpiniste courageux devenu simple vagabond, il rejoint les siens et notamment son frère qui le recueille à bout de forces. Il s'agissait de leur guide, mais sa disparition avait fait perdre espoir au peuple tout entier. On découvre son histoire, l'ascension difficile, lorsque soudain, face à la muraille, sa voix se met à résonner : "Je suis Adonai (Yod) ton Elohim." C'est ainsi que débute la déclinaison du Décalogue où chaque mot, chaque commandement, est percé par l'étude de la lettre. Sans réduire son texte à un commentaire religieux, Erri De Luca met en scène une poétique biblique qui ne se dissocie jamais de la nature, ni de la puissance du langage : "Ils apprirent au pied du Sinaï que l'écoute est une citerne dans laquelle se déverse une eau de ciel de paroles scandées à gouttes de syllabes." L'auteur condense la langue et la spiritualité pour raconter les Commandements dont il tire le plus beau. Il questionne, tord, et emporte ainsi le lecteur dans la fulgurance de ses histoires. Ce mouvement s'intensifie jusqu'à atteindre deux petits textes que l'on retrouve comme deux suspensions au livre. Le premier, "Adieu au Sinaï", conte les bienfaits de la voix divine du prophète et ses conséquences sur les corps. Tous les maux disparaissent dans un rapprochement charnel entre hommes et femmes. L'amour devra être la dernière consigne pour la nouvelle génération pressante. Puis De Luca nous plonge une dernière fois dans la problématique religieuse avec "En marge du campement". Il confie en quelques lignes, parmi les plus émouvantes de son œuvre, l'équilibre entre intimité et distance qu'il entretient avec le peuple juif et avec sa langue sacrée.

    Première page :

    "Ils le ramassèrent épuisé au bord du campement. Depuis plusieurs jours, ils désespéraient de le voir revenir. Ils s'apprêtaient à démonter les tentes, inutile de le chercher là où lui seul osait aller. Il comptait y arriver en deux jours. Il était entraîné, rapide, le meilleur à monter. Le pied humain est une machine qui veut pousser vers le haut. Chez lui, la vocation s'était spécialisée, elle était remontée de la plante du pied au reste du corps. Il était devenu un grimpeur, unique à son époque. Il lui était même arrivé d'escalader pieds nus.

    Il grimpait léger, son corps répondait tendu et franc à l'invitation des appuis, sa respiration restait comprimée dans ses poumons et détachait des syllabes de souffle en suivant le rythme d'un air dans sa tête. Le vent ébouriffait ses cheveux et libérait ses pensées. Le dernier pas de la montée lui faisait toucher l'extrémité où s'arrête la terre et où commence le ciel."

    Ce que j'en pense :

    Début intéressant, qui nous laisse espérer un texte de la même force que "Le poids du papillon" mais ensuite, la lecture en est difficile. Les deux petits textes de la fin sont de meilleure facture (mais très courts).

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