• Les épinards crus

    "Les épinards crus" de Anne Luthaud
    Buchet Chastel

    Présentation de l'éditeur :

    Dans le cimetière de la ville de Gênes, un enfant fait son apprentissage du monde sous l'oeil attentif du gardien des lieux. Été, automne, hiver, printemps s'écoulent au gré de ses jeux, de ses questionnements, de ses découvertes et de ses rencontres. Avec sa mère, la grande absente, il communique par flux mentaux qui sont autant d'interférences avec ce microcosme étrange et attachant. Elle lui révèle notamment le passé commun du tailleur de pierre et du fabricant. Ainsi l'enfant grandit-il au milieu des sculptures-sépultures et des personnages qui hantent le cimetière... 
    Un roman initiatique et une réflexion délicate sur le temps qui passe.

    Première page :

    "L'enfant est joyeux. Il saute de tombe en tombe comme s'il partait à la bataille, heureuse bataille, un jeu. 
    Il s'arrête net devant un angelot qui s'essuie l'oeil avec l'index replié de sa main droite. Poussière dans l'oeil ou larmes ? L'enfant observe, poursuit son chemin. Maintenant il chantonne : Si je tombe entre les pierres, je tombe au fond, mais je ne tomberai pas, tu ne m'auras pas. Si je tombe entre les pierres, je tombe au fond, mais je ne tomberai pas, tu ne m'auras pas. Il s'arrête, semble réfléchir, revient sur ses pas. Se plante de nouveau devant la sculpture du chérubin : Et pourquoi tu pleures, toi ? T'es qui ? Tu regrettes ? Tu regrettes quoi ? Tu y retourneras, va, tu retourneras au début, quand ça commence. C'était quoi, ton dernier mot ? C'est celui-là que tu cherches ? C'est pour ça que tu pleures ? Laisse tomber, on va jouer à la bataille, toi contre moi, moi contre toi, je suis le méchant, t'es le gentil, on a plein de chevaliers avec nous, des chevaliers qui viennent de la mer sur de gros bateaux, des bateaux de guerre, ils sont enterrés, ils sont dessous, mais c'est pas grave, c'est pas grave, c'est comme toi, ça vaut pas le coup de pleurer, on va faire une vraie bataille, et c'est moi qui vais gagner. T'es prêt ? Je compte jusqu'à 30. Allez, on joue ?"

    Ce que j'en pense :

    Roman poétique, ouvert, rempli de sensations. Si le lecteur accepte de suivre l'imaginaire gambadant du jeune garçon, personnage principal de l'histoire, c'est un texte qui offre un voyage doux, tendre et merveilleux. 

       

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  • La confession d'un bâtard du siècle

     

    "La confession d'un bâtard du siècle" de Ludovic Janvier
    Fayard

    Présentation de l'éditeur :

    Il a hérité de son père inconnu un teint pâle et des cheveux clairs et sa mère est antillaise. «Vous êtes sûrs qu’il est de moi?». Ce n’était pas un bon début.

    Dans la France en guerre, tantôt à Paris, tantôt en Gironde, bègue, il tâche de grandir, seul, ou même pas, car sa mulâtre absente quand ça lui chante essaie de temps en temps de lui faire croire qu’elle est sa mère. Mais s’il fait une bourde elle lui jure bien qu’elle lui pardonne, et lui promet un baiser pour qu’il s’approche à portée de gifle. Mulâtre et traitresse.

    Jeune homme il rêve d’être boxeur. Pourtant ce n’est pas la violence qui domine en lui. Un jour, à l’étude, ses devoirs achevés, le voilà qui prend sa plume. Et il écrit. Jubilation de «se voir d’en haut». Dès lors il sait qu’il ne sera plus jamais seul de la même façon. A côté de lui se tient sa propre voix qui le fait sourire.

    Extrait :

    "Tu aimes rester longtemps debout sous l'odeur du figuier, tu aimes écouter le grince­ment de la brouette pleine d'herbe aux lapins, tu aimes rentrer lentement de la messe en freinant la journée du dimanche, tu aimes écouter le tom­bereau passer à vide avec son bruit carré, tu aimes les énormes jambes de Lisette la jument avec ses poils comme des gros cheveux, tu aimes le sifflement de la meule mouillée quand on aiguise les serpes et les faucilles, tu aimes cueillir les arbouses sur leur arbre en bordure du bois, tu aimes quand tu te torches avec des poignées d'herbe et qu'on entend le coucou, tu aimes quand l'orage noir éclate en tonnes de pluie qui mitraillent, tu aimes le silence à midi avec au milieu le bruit du seau qu'on remonte du puits, tu aimes le froissement de drapeau fait par les ailes de la buse qui remonte au ciel, tu aimes écouter le vent dans les feuilles du petit palmier qu'on appelle satre, tu aimes fixer le feu dans la cheminée et rougir lentement grâce à lui, tu aimes le vin blanc doux avec son épaisseur plein la bouche, tu aimes voir arriver sur le chemin le gros facteur congestionné sur son vélo qui zigzague, tu aimes l'odeur de corne brûlée qui vient de chez le maréchal-ferrant, tu aimes le Tantum ergo qu'on chante aux vêpres avec son goût d'automne,..."

    Ce que j'en pense :

    Une autobiographie ? Un roman ? De toute façon ce texte est assez jubilatoire ; il y a au fil des pages, de la poésie, de la rage, de la vengeance, de l'amour, du sexe… et sans aucun doute de la belle littérature.

       

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  • L'inauguration des ruines

    "L'inauguration des ruines" de Jean-Noël Blanc
    éditions Joêlle Losfeld

    Présentation de l'éditeur :

    L'inauguration des ruines retrace le parcours, sur quatre générations, d'une famille d'industriels, dont le destin est intimement lié à celui de la ville qu'ils habitent et qu'ils façonnent, jusqu'au point de faire littéralement corps avec elle. C'est aussi un roman qui a envie de roman : si la structure générale présente l'histoire d'une dynastie, le texte multiplie sur cette base les récits, les personnages, les aventures, les épisodes, les narrations, en mêlant l'amour, l'économie, les fantasmes, l'architecture, l'Histoire, la politique, la poésie, les chansons...

    Première page :

    "Et après tout ce soir aurait été pareil aux autres soirs, et la journée semblable aux autres journées de ce mois d'août impi­toyable, si la vieille Joroastre du Briet n'avait pas cédé à un caprice que rien ne laissait prévoir.

    Depuis le matin des orages avaient labouré le ciel du côté de Neaulieu, et elle avait attendu le soir et les derniers froissements du tonnerre pour sortir dans la cour de la gentilhommière. Elle avait quitté le grand salon plongé dans une tristesse de rideaux qui ne le protégeaient même pas de la fournaise de l'été, elle avait descendu les marches du perron en mesurant ses pas un à un, elle avait tâté du bout de sa canne les pavés de la cour, puis, la bouche ouverte et les yeux écarquillés dans le terrible désarroi de l'asthme qui la tenaillait, elle avait offert à la détresse de sa respiration la limpidité de l'air du crépuscule.

    D'abord elle avait claudiqué jusqu'aux communs, en s'effor­çant d'identifier les odeurs exténuées qui montaient des champs ceinturant le domaine, puis elle avait déambulé des communs au portail et du portail à la remise où s'empoussiérait le tilbury noir qu'on n'utilisait qu'aux grandes occasions pour aller à la ville ou à la messe, et pour finir elle s'était approchée de la cahute coincée contre le corps principal du bâtiment.

    Cette ruine, avait-elle dit le matin même au vieux Joroastre, il faudra la démolir…"

    Ce que j'en pense :

    Récit, saga, fresque, roman feuilleton… où l'auteur s'amuse (et le lecteur également, la plupart du temps) en utilisant plusieurs registres d'écriture : de la narration traditionnelle, des poèmes, des extraits d'articles de presse ou de livres documentaires (bien sûr entièrement inventé). 

      

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  • Noces de neige

    "Noces de neige" de Gaëlle Josse
    autrement

    Présentation de l'éditeur :

    Elles sont des centaines à rêver d'une autre vie. Mais pour Irina, rêver ne suffit pas. De Moscou, le Riviera Express doit la conduire à Nice, jusqu'à Enzo. Elle est prête à saisir sa chance. N'importe quelle chance. Mais sait-on vraiment ce qui nous attend ? Irina n'a jamais entendu parler d'Anna Alexandrovna, jeune aristocrate russe, ni de son long voyage en train, en sens inverse, de la côte d'Azur à Saint-Pétersbourg, un huis clos où les événements tragiques se succèdent. Qui s'en souvient ? Un siècle les sépare, et pourtant leurs histoires sont liées à jamais.

    Première page :

    "Nice, 9 mars 1881

    La fête est finie, nous partons. Dans quelques jours nous serons à Saint-Pétersbourg. Là-bas, la ville est encore enfermée dans son hiver. Bientôt viendra le dégel, avec les blocs de glace irisée emportés par la Neva, où se reflètent l'or et les couleurs joyeuses de nos palais. Je vais vivre, enfin, je vais revivre. Qu'y puis-je si ces mois interminables que nous passons chaque année ici, à Nice, me sont un calvaire ?

    Nous voilà arrivés sur ce quai poussiéreux encombré des malles que l'on monte à bord. Ma mère est là, dans une immobilité de statue, lèvres pincées. Mon père, le grand-duc Alexandre Feodorovitch Oulianov, marche de long en large, aussi impatient que moi de ce voyage.

    Vladimir, mon frère aîné, se tient un peu à l'écart, pâle au milieu de ses amis venus lui faire leurs adieux."

    Ce que j'en pense :

    Court roman (ou une nouvelle à la façon de Zweig), double récit, entre départ et retour, deux destins. Une écriture fine, précise, soignée.

      

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  • Lettre d'une inconnue

    "Lettre d'une inconnue, suivi de La ruelle au clair de lune" de Stefan Zweig
    Le livre de poche

    Présentation de l'éditeur :

    Un écrivain viennois apprend en lisant son courrier qu’une femme l’aime en secret d’un amour absolu depuis des années… Une nuit, un voyageur rencontre dans un bar un homme autrefois dominateur, aujourd’hui humilié par une fille à matelots… Ces deux nouvelles publiées en 1922 témoignent de l’art de Stefan Zweig pour dépeindre les tourments de l’amour non partagé, la passion qui brûle les cœurs et détruit les vies…

    Première page :

    "R..., le romancier à la mode, rentrait à Vienne de bon matin après une excursion de trois jours dans la montagne. Il acheta un journal à la gare ; ses yeux tombèrent sur la date, et il se rappela aussitôt que c'était celle de son anniversaire. « Quarante et un ans », songea-t-il, et cela ne lui fit ni plaisir ni peine. Il feuilleta sans s'arrêter les pages crissantes du journal, puis il prit un taxi et rentra chez lui. Son domestique, après lui avoir appris que pendant son absence il y avait eu deux visites et quelques appels téléphoniques, lui apporta son courrier sur un plateau. Le romancier regarda les lettres avec indolence et déchira quelques enveloppes dont les expéditeurs l'intéressaient. Tout d'abord, il mit de côté une lettre dont l'écriture lui était inconnue et qui lui semblait trop volumineuse. Le thé était servi; il s'accouda commodément dans son fau­teuil, parcourut encore une fois le journal et quelques imprimés ; enfin il alluma un cigare et prit la lettre qu'il avait mise de côté.

    C'étaient environ deux douzaines de pages rédigées à la hâte, d'une écriture agitée de femme, un manuscrit plutôt qu'une lettre. Involontairement, il tâta encore une fois l'enveloppe pour voir s'il n'y avait pas laissé quelque lettre d'accompagnement. Mais l'enveloppe était vide et, comme les feuilles elles-mêmes, elle ne portait ni adresse d'expéditeur, ni signature. "

    Ce que j'en pense :

    La première nouvelle, qui donne son titre au livre, est une parfaite description de ce que l'on peut nommer "une maladie d'amour". Grande maîtrise d'écriture pour nous raconter cet amour fou. Dans la deuxième nouvelle (qui traite également d'un amour fou) l'auteur, en nous mettant dans la peau de son narrateur, peut nous entraîner jusqu'à un certain malaise.

       

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  • La mauvaise graine

    "La mauvaise graine " de Jean-Bernard Pouy
    folio 2 €

    Présentation de l'éditeur :

    Un équarrisseur aux prises avec une petite fille en larmes, un père qui écume les bars du Marais à la recherche de son fils adolescent, un étonnant exercice de style sur fond de terrorisme, ou encore des éditeurs qui se livrent à une guerre impitoyable... Avec Jean-Bernard Pouy, chaque nouvelle est une surprise de tendresse, de férocité, de virtuosité ou d'humour. Des histoires étonnantes pour pénétrer dans l'univers très particulier d'un écrivain inclassable.

    Première page :

    "Le demi de 1664 avait un arrière-goût métal­lique. Sans doute parce que je ne pouvais plus m'enlever de la tête que ce numéro était une date, celle de la bataille de Kronenbourg. Une connerie que j'avais entendue, un jour, près d'un comptoir à peu près similaire, cuivre un peu piqué, ou zinc frotté, je ne sais jamais. Le carton humide sur lequel j'ai reposé, avec des gestes lents, le cul du verre, m'annonçait pourtant les bienfaits d'une autre marque. Le mélange des genres.

    Et le deuxième demi. C'était fou ce que j'éclusais en ce moment. Depuis deux jours. Depuis que Suzanne est en stage à Poitiers. Depuis que j'ai profité de ce célibat temporaire pour prendre quatre jours de congé. J'ai compté, ça me sup­prime un week-end sur les vacances de Noël, mais bon, Suzanne ne dira rien, l'hiver, elle préfère rester à Paris au chaud."

    Ce que j'en pense :

    Les quatre nouvelles de ce livre sont assez différentes par le thème et par le style mais c'est du "bon Pouy" loufoque  (Manus militari"), parfois grave ("la mauvaise graine"), joueur façon OULIPO ("l'ABC du métier"), émouvant ("l'équarrisseur", la meilleure nouvelle du livre).

      

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