• Certaines n'avaient jamais vu la mer

    "Certaines n'avaient jamais vu la mer" de Julie Otsuka
    traduit par Carine Chichereau - éditions Phébus

    Présentation de l'éditeur :

    L’écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l’auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’ont pas choisi.
    C’est après une éprouvante traversée de l’océan Pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir. 
    À la façon d’un chœur antique, leurs voix se lèvent et racontent leur misérable vie d’exilées… leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail, leur combat pour apprivoiser une langue inconnue, l’humiliation venue des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre. Et l’oubli.

    Première page :

    "Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté - hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. Parfois l'océan nous avait pris un frère, un père, ou un fiancé, parfois une personne que nous aimions s'était jetée à l'eau par un triste matin pour nager vers le large, et il était temps pour nous, à présent, de partir à notre tour."

    Ce que j'en pense :

    L'écriture, avec l'utilisation du "nous" donne une grande force à ces témoignages multiples, à cette galerie de personnages aux histoires variées pour se terminer par une grande absence. Ce roman est une polyphonie bouleversante.

       

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  • Testament d'un paysan en voie de disparition

    "Testament d'un paysan en voie de disparition" de Paul Bedel
    avec Catherine Ecole-Boivin, Presses de la renaissance

    Présentation de l'éditeur :

    Et si Paul Bedel, paysan de la pointe de la Hague reste par choix à la traîne du progrès, vous racontait sa vie d'agriculteur? S'il vous révélait ses " houoles ", ses coins pour pêcher le homard? S'il vous présentait ses vaches, Echalote, qui " sentait l'oignon " ou Copine, " toujours sympa avec tout le monde "? S'il vous parlait " des choses qui n'arrivent qu'aux vivants ", de ses coups de gueule, de ses coups de vie? Avec le succès du livre Paul dans les pas du père et du film Paul dans sa vie, Paul Bedel est devenu le passeur d'un monde en voie de disparition. Chaque année, des centaines de personnes lui rendent visite pour l'entendre témoigner de ce choix de vie, celui d'une existence toute simple. Avec ce Testament, Paul Bedel vous invite vous aussi à boire une tasse de café accompagnée de petits-beurre, sur une table en bois patinée par les ans, et à l'écouter. En refermant ce livre, vous aurez le sentiment d'avoir rencontré un homme bon, serein et clairvoyant. L'impression de la terre, son silence et sa liberté.

    Première page :

    J’suis un paysan sans histoire, un matériel d’avant guerre, né le 15 mars 1930 «à la ferme», dans une petite commune de la Hague, au bout de la terre d’Auderville.

    Je m’appelle Paul Bedel.

    Jeune sacristain, quand je sonnais le trépas, je souriais sans penser à mon dernier moment. Je tirais à bras, ça tirait dur. C’est long, quand t’es seul pendu au bout d’une corde ! Pauvre Gusto ! Le corps suivait, je rendais hommage à ma manière au bonhomme ou à la bonne femme s’envolant pour le paradis. Ça pouvait durer jusqu’à une demi-heure, suivant le niveau social de la personne morte. Ça et le travail de la terre, ça m’a fait les muscles et les os. Maintenant qu’on est au tout-électrique, j’actionne trois manettes et j’annonce. Chacun dorénavant a le droit au même temps de cloches. Notre campanile en possède deux. C’est pas plus mal, le même temps pour tous, puisque, dans le cimetière, t’es plutôt dans le bas niveau pour tout le monde.

    Ce que j'en pense :

    C'est un témoignage souvent émouvant, parfois drôle qui montre que l'on peut vivre (et bien vivre) en dehors d'un système basé sur l'endettement, la recherche de la rentabilité à tout prix. Le seul bémol à apporter est au niveau de l'écriture. C'est Catherine Ecole-Boivin qui a recueilli les paroles de Paul Bedel mais elle n'a pas su restituer la voix de ce paysan hors norme.


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  • Les oeuvres de miséricorde

    "Les oeuvres de miséricorde" de Mathieu Riboulet
    Verdier

    Présentation de l'éditeur :

    Donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts : tels sont les impératifs moraux édictés par l’Église sous le nom d’œuvres de miséricorde, que le Caravage a illustrés dans un tableau conservé à Naples, et dont tous ceux nés en culture chrétienne sont imprégnés, même s’ils ne les connaissent pas. Ces injonctions morales sont ici mises à l’épreuve de l’expérience – réelle ou imaginaire.

    «Il m’a fallu comprendre comment le Corps Allemand, majuscules à l’appui, après être entré à trois reprises dans la vie française par effraction (1870, 1914, 1939), continue à façonner certains aspects de notre existence d’héritiers de cette histoire. Chemin faisant, j’ai tenté d’y voir un peu plus clair dans les violences que les hommes s’infligent – historiques, guerrières, sociales, individuelles, sexuelles, massivement subies mais de temps à autre, aussi, consenties –, dont l’art et la sexualité sont le reflet et parfois la splendide, indépassable, bienheureuse expression, et de les lier du fil de cet impératif de miséricorde qui fonde notre culpabilité pour être, de tout temps et en tous lieux, battu en brèche.  »

    Extrait :

    "Parfois je descends aussi du plateau calcaire où je vis pour des destinations plus triviales, me ravitailler, voir du monde, trouver un garçon à aimer, toutes choses quasiment impossibles à concrétiser sur ces hautes terres où ne souffle que le vent qui en été rabat ces longues graminées qu’on appelle cheveux d’ange, en hiver clôt le monde en apportant la neige. De toutes les incongruités que génère la vie que nous nous fabriquons, d’un accord de moins en moins commun, de plus en plus tacite, certes, mais que nous fabriquons, la floraison des longues galeries marchandes à la périphérie des villes n’est pas la moindre, mais elle n’est pas, tant s’en faut, la plus accablante, car il s’y est rapidement inventé des usages plus ou moins détournés qui relèguent de temps à autre leur fonction commerciale au second plan, ce qui est une victoire, modeste mais réelle, sur le rôle d’hommes économiques auquel nous assigne le dieu Commerce qui par ailleurs prospère avec notre actif concours. On peut ainsi, du moins dans les provinces mordues par l’oubli et le givre, terriblement continentales, à Rodez, au Puy, à Mende, à Aurillac, y trouver le pain, le sel, le vin et le garçon qui se laissera convaincre de prolonger ses courses d’une étreinte rapide mais dense, précise, dans le temple même du commerce ou dans quelque bosquet discret des alentours. Puis il regagnera, la chose faite, une petite amie en ville, une ferme isolée à quelques kilomètres, un travail de routine ou une ivresse feinte. C’est à cela que servent à des gars dans mon genre les vallées où l’on vit, l’on échange et l’on passe."

    Ce que j'en pense :

    C'est à la fois un récit autobiographique, un essai, une méditation... sur l'Histoire, la violence, sur les guerres passées, sur le corps (en général et sur son corps en particulier). C'est certainement très bien écrit mais il faut assez souvent revenir en arrière pour comprendre certains passages.  Au final, c'est presque une déception, comparé au plaisir de lecture de ses précédents livres : "Quelqu'un s'approche", "L'amant des morts".

     

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  • Dans le ventre des mères

    "Dans le ventre des mères" de Marin ledun
    Ombres noires

    Présentation de l'éditeur :

    "Le virus nous ronge de l'intérieur. Il nous maintient debout pour servir ses propres desseins de parasite mais, tôt ou tard, nos corps lâcheront. Je sais que ce jour est proche... En attendant mon heure, ils m'ont reconvertie en soldat." Janvier 2008. Une explosion anéantit un village ardéchois. Dans un décor apocalyptique, les sauveteurs exhument un charnier. Les cadavres, véritables cobayes humains, ont subi des mutations génétiques. Une femme apparaît dans les décombres: Laure Dahan, 29 ans. Ses jours sont comptés. Son obsession: sa fille qu'elle n'a jamais connue. Elle doit la mettre à l'abri avant qu'il ne soit trop tard. Pour cela, elle est prête à tout et n'hésite pas à semer la désolation sur son passage. Les meurtres se succèdent, mystérieusement reliés, au fil de l'enquête du commandant Vincent Auger. De Grenoble à Berlin, de Zagreb à la Sicile, une course-poursuite s'engage entre Laure et Vincent. Quel rapport entre elle et les cobayes humains? Dans un monde où s'effritent les frontières entre le bien et le mal, Vincent Auger devra choisir son camp.

    Première page :

    "Sous les assauts du vent, l'herbe haute frémit autour de Laure Dahan. Le chant assourdissant des cigales couvre le bruit de ses pas. Son corps s'offre à ce moment attendu depuis si longtemps. Elle sourit. Une esquisse sous un soleil de plomb. Pantalon de toile, baskets, chemise noire. Légère, très légère. Une goutte de sueur perle le long de son cou. Une veine, presque palpitante de vie.

    Durer, faire durer.

    Ses bras délicats, ouverts, en croix, le tissu légèrement froissé au niveau de la taille, le noir. L'échancrure révèle la naissance d'un sein rond et ferme. Sous la poussière, une fine pellicule de sueur. Une odeur forte de pin et de fougère. Une fragrance légère de lavande. Un parfum de vengeance. Le tonnerre gronde, à quelques kilomètres. Bientôt là.

    Durer, c'est la règle imposée.

    Sa silhouette est gracile. Sa jeunesse, éternelle. Ses cheveux de jais balaient son visage par vagues successives. Elle se tient au milieu d'une clairière et peu importe le jour, peu importent l'heure et le moment : belle dans sa gangue solaire, désirable dans ce noyau de nature, gorgée de chaleur. Comme le sont toutes les femmes de son âge.

    Comme le sont toutes les mères qui s'apprêtent à embrasser leur enfant pour la première fois."

    Ce que j'en pense :

    Polar fantastique, techno thriller sur fond de manipulation génétique. On retrouve beaucoup de personnages d'un précédent roman (marketing viral) sans que cela en soit une suite mais plutôt un éclairage nouveau sur mes mêmes évènements. L'intrigue est rondement menée, les paysages de l'Ardèche sont magnifiques, il y a de l'action mais il manque à mon sens la profondeur et le réalisme d'un de ses précédents romans : "Les visages écrasés".

     

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  • La place du mort

    "La place du mort" de Pascal Garnier
    Points

    Présentation de l'éditeur :

    Fabien mène une existence paisible jusqu'au jour où sa femme décède dans un accident de voiture. Un drame n'arrivant jamais seul, il découvre qu'elle était accompagnée de son amant. Fabien, désarçonné mais déterminé, décide de se venger : "Il a piqué ma femme, je lui piquerai sa veuve". Mais ce désir si légitime va l'entraîner dans une situation abominable.

    Première page :

    "Les histoires d'amour finissent mal en gêné...

    Un index à l'ongle rongé coupe net la chanson des Rita Mitsouko. Ce brusque retour au silence fait mal. Les dix doigts se mettent à tambouriner sur le volant. Un son mat, un rythme monotone. On dirait de la pluie. Les cadrans du tableau de bord les éclairent en vert fluo. Aucune autre lumière à des kilomètres à la ronde. Pas une étoile, à peine un soupçon de clarté, là-bas, derrière les collines, la présence d'une ville lointaine. La main droite quitte le volant, caresse de sa paume le levier de vitesses. Le même geste qu'on fait pour flatter la tête d'un chien, d'un chat, la crosse d'une arme. C'est une bonne voiture, puissante, robuste, grise. Onze heures trente, ils ne devraient plus tarder. À force de fixer l'aiguille des secondes, celle-ci semble s'arrêter. Mais non, elle continue son petit bonhomme de chemin, obstinée ou résignée, comme un âne tournant la meule d'un moulin.

    Et puis soudain, rasant la crête de la colline en face, un faisceau de phare, la nuit qui pâlit, qui recule... Contact. La main droite se crispe et enclenche une vitesse."

    Ce que j'en pense :

    Il y a dans ce roman comme d'habitude chez Pascal Garnier, de l'ironie, du noir, de l'absurde, de la chronique sociale, de l'insolite... et surtout de la profondeur. Garnier nous montre qu'il n'est pas besoin d'intrigue compliquée pour tenir en haleine le lecteur. Garnier nous manque, il manque à la littérature.

       

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  •  "Un notaire peu ordinaire" de Yves Ravey
    Les éditions de Minuit

    Présentation de l'éditeur :

    Madame Rebernak ne veut pas recevoir son cousin Freddy à sa sortie de prison. Elle craint qu'il ne s'en prenne à sa fille Clémence. C'est pourquoi elle décide d'en parler à maître Montussaint, le notaire qui lui a déjà rendu bien des services.

    Première page :

    "Les soirs d’été, et jusqu’à l’âge de mon entrée à l’université, ma mère avait pris cette habitude de sortir de l’armoire du salon l’album de famille. Nous nous installions tous les deux à la table de la cuisine pour commenter une à une les photographies. Elle me parlait alors de mes oncles, de mes tantes et de ses cousins.

    C’est ainsi que, pour la première fois, j’ai appris l’existence de son cousin Freddy. Elle me l’a d’abord montré jeune homme, assis dans un fauteuil de toile, le visage souriant, sous l’abricotier de cette maison neuve où nous logions, elle et moi, avec ma sœur Clémence, depuis la mort de mon père.

    Un autre soir, comme je tournais la page de l’album, je lui ai demandé si c’était toujours lui, debout à la terrasse d’un bistrot. Il posait à côté de mon père, en habit du dimanche, costume et cravate. Elle m’a répondu oui."

    Ce que j'en pense :

    Une écriture efficace et simple, qui s'efface derrière l'intrigue, pour nous plonger tranquillement dans un univers à la Chabrol (d'une bourgeoisie de province). C'est le portrait d'une femme droite, courageuse (pas toujours sympathique). Un livre où l'arrière plan social est bien présent. À lire d'une seule traite.

      

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  • "Viviane Élisabeth Fauville" de Julia Deck
    Les éditions de Minuit

    Présentation de l'éditeur :

    Vous êtes Viviane Élisabeth Fauville. Vous avez quarante-deux ans, une enfant, un mari, mais il vient de vous quitter. Et puis hier, vous avez tué votre psychanalyste. Vous auriez sans doute mieux fait de vous abstenir. Heureusement, je suis là pour reprendre la situation en main.

    Première page :

    "L’enfant a douze semaines, et son souffle vous berce au rythme calme et régulier d’un métronome. Vous êtes assises toutes les deux dans un rocking-chair au milieu d’une pièce entièrement vide. Les cartons empilés par les déménageurs bordent le mur de droite. Trois d’entre eux, au-dessus de la pile, ont été ouverts pour extraire les objets de première nécessité, les ustensiles de cuisine, les objets de toilette, quelques vêtements et les affaires du bébé qui sont plus nombreuses que les vôtres. La fenêtre n’a pas de rideau. Elle semble clouée au mur comme une esquisse, une pure étude de perspective, où les rails et les caténaires échappés de la gare de l’Est figureraient les lignes de fuite.

    Vous n’êtes pas tout à fait sûre, mais il vous semble que, quatre ou cinq heures plus tôt, vous avez fait quelque chose que vous n’auriez pas dû."

    Ce que j'en pense :

    C'est un premier roman fou qui nous prend dans sa folie. Nous sommes intrigués, étonnés, parfois amusés, souvent troublés, mais complètement happés par l'héroïne. Un livre à l'écriture originale, qu'on ne lâche pas facilement. À découvrir. On attend avec impatience le deuxième roman.

       

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