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Présentation de l'éditeur :
Alors qu'il se rend au bord d'un lac pour une séance d'apnée (discipline âpre, exigeante et de faible profit), un homme est victime d'une panne de voiture et échoue à Plan-les-Ouates, bourgade qu'il ne connaît pas. Ainsi, dans l'attente d'une réparation, s'ouvrent à lui quelques heures d'une vacuité parfaite dans un espace vierge de tout repère. Embarrassé par cette liberté inopinée - que faire de ce temps ? Pourquoi se diriger ici plutôt que là -, il décide de confier son itinéraire à celui d'une femme dont il entreprend la filature. Le récit de cet homme, avec son appétit des mots, est singulier et témoigne d'un lien ambigu à la complexité du monde qui l'entoure : sa passion ludique pour la lexicographie serait une manière de tenter de l'embrasser ; son besoin d'apnée, le signe d'une incapacité à le faire.
Les premières lignes :
"Les jours précédents, le joran avait soufflé fort, flanquant au pays un bon coup de rebuse.
De cet hiver mollasse, ce fut l'ultime ruade.
Et aujourd'hui, ce que l'on flairait à l'avant des brumes encore voyageuses, c'était surtout cet air neuf et pépiant avec une verve retrouvée, dissipant toute menace d'un retour de cramine.
Bref, le printemps commençait à pousser ses pions.
J'étais de sortie.
Enfin, de sortie.
Dans l'habitacle, une odeur de chaud.
J'ouvris la vitre, mis le coude à la portière, un peu le nez aussi. A l'extérieur, c'était pire encore. Les pots d'échappement rendaient de petits cumulus noirâtres et les avertisseurs, une polyphonie énergique et plutôt atonale.
En vérité, j'étais salement englué dans un embouteillage.
J'avais hésité avant de renoncer au contournement autoroutier de Genève. Finalement, j'avais cédé à l'appel d'une trajectoire aux apparences optimales, joliment tangentielle à la pointe sud du lac.
Je bisquai à l'endroit d'Euclide et des postulats de sa géométrie.
Tentai de me rassurer en convoquant la mécanique des fluides et ses dénouements, fréquemment heureux.
Je remontai la vitre."
Ce que j'en pense :
On retrouve dans ce livre la "patte Choplin" : une grande douceur, des personnages dont nous découvrons à peine quelques secrets, et de la légèreté, du silence. En plus, dans ce livre, il y a les mots, riches, désuets, vieillis, magiques. Un livre "long en bouche", à déguster.
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"Ici", de Jean Pierre Siméon, illustration Martine MelinetteCheyne éditeur (poèmes pour grandir)
Les auteurs :
Jean-Pierre SIMÉON
Né en 1950. Publie régulièrement à Cheyne depuis 1984. Prix Artaud 1984, Prix Apollinaire 1994, Grand Prix du Mont-Saint-Michel 1999 et Prix Max Jacob 2006. Quatre romans, un récit et du théâtre publiés par le Castor Astral, l'Aire et les Solitaires intempestifs. Nombreuses interventions sur les rapports poésie et pédagogie. Dirige, avec Jean-Marie Barnaud, la collection Grands fonds de Cheyne éditeur. «Poète associé» au C.D.N. de Reims pendant six ans, il rejoint ensuite le T.N.P. de Villeurbanne, aux côtés de Christian Schiaretti, son directeur. Directeur artistique du Printemps des poètes.
Martine MELLINETTENée en 1952 à Paris. Création de Cheyne avec Jean-François Manier en 1978. Dirige la collection Poèmes pour grandir. Expositions à Paris (Bibliothèque nationale, librairie-galerie Touzot), Grasse (Médiathèque municipale), Clermont-Ferrand (D.R.A.C. Auvergne), Villeurbanne (M.L.I.S.), New York (National Arts Club, Galerie Jadite).
Extrait :
GIBRALTAR
Ceux-là ne vont pas à la mer
pour la mer
pas pour nouer leurs rires
à la gerbe des vagues
pas pour cuire leur sommeil
sur le sable
ils sont devant la mer
debout sous la nuit sans étoiles
comme devant l'abîme
derrière eux la terre qu'ils aiment
harassée
dépourvue
où il n'y a de choix
qu'entre la mort et la mort
devant eux rien la mer immense
un abîme à franchir
comme on doit bien franchir le désespoir
ils savent que leur barque
est plus fragile qu'un rêve
ils savent
que là-bas peut-être à l'autre bout du vide
la mer recrachera leur corps
sur le sable froid
ils savent
debout devant la mer
Mon avis :
Poèmes profondément ancrés dans le monde tel qu'il est avec ses souffrances, ses espérances. Une poésie qui n'a pas peur de l'émotion, de l'engagement.
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"On ne sait pas si ça existe les histoires vraies", Isabelle DamotteCheyne éditeur
Présentation :
"Sept enfants, sept prénoms, sept histoires vraies. Et sept intermèdes pour avancer doucement, comme dans la neige, sans un bruit, dans chaque histoire. Dans la douleur et la désespérance on entre de côté, de travers, par les mains, par les murs, par les jeux, pinces à linge accrochées comme les cailloux du petit Poucet, pinces à détacher, une à une. Ici les vêtements ont une peau, les murs suintent de pus, le ciel palpite. Ici ce sont les vêtements, les murs et les ciels qui souffrent. C’est drôlement discret, pudique, ça souffre en refrain à la manière des enfants, à la manière des petits — qui ne sont pas cousus de fil blanc, jamais." (extrait de la préface de Marie Cosnay)
Extrait :
Je m'appelle Judith, j'ai trois ans.
Ma mère est belle, ses yeux sont verts.
La nuit mon père galope sur un grand cheval noir.
Je déroule le ruban posé sur la table, mes doigts caressent le chemin des fils rouges. Maman coupe le ruban et coud les morceaux séparés sur mes vêtements. Les vêtements propres, repassés, attendent sur la table. Il est tard, moi aussi on me plie sous les draps et on me borde bien serrée.
Dans la nuit papa me porte dans la voiture.
La route qui glisse pose un linge sur mes yeux
sois sage dors.
Maman rit.
Papa me lance dans le ciel blanc
la neige me saisit.
Maman retourne le miroir : « Regarde le château ! »
Mon avis :
Très beau premier livre qui nous fait découvrir ce que peut être la poésie contemporaine
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Le Chanteur de Gospel - Harry CrewsTraduction Nicolas Richard - folio policier
Présentation de l'éditeur :
Chaque bled, même paumé, a son héros. À Enigma, Géorgie, où la canicule suce la terre, on guette depuis des mois l'arrivée d'une Cadillac. On attend l'enfant prodigue du pays, le Chanteur de Gospel, une sorte de messie dont chaque passage s'accompagne de mystères. Il va, cette fois, chanter en souvenir de Mary Bell, l'autre soleil d'Enigma, une gamine poignardée soixante et une fois. Le shérif le sent, ce crime sacrilège rendra la foule difficile à tenir. Les idoles sont fragiles et l'amour comme la haine peuvent être gravés sur les mains d'un même homme. Qui sait ce que la folie qui couve en ville réservera au Chanteur?...
Les premières lignes :
"Enigma, Géorgie, était un cul-de-sac. Le tribunal avait été construit à la lisière du marécage Big Harrikin, là où la Route 229 s'arrêtait net comme un ruban coupé. De la fenêtre de sa cellule orientée au nord, Willalee Bookatee voyait toute la ville. Il se balançait mollement d'un pied sur l'autre. Derrière lui, une assiette de petits pois se figeait dans de la graisse de porc. Deux pains au lait étaient échoués sur le bord de l'assiette. Un seau traînait dans un coin de la cellule, et au-dessus, à hauteur d'homme, le règlement de la prison du comté de Lebeau avait été inscrit au crayon de papier sur une feuille de cahier.
Dans la chaleur étouffante de sa cellule, Willalee Bookatee se dandinait comme un balancier d'horloge devant l'éclatant carré de lumière de sa fenêtre. Hormis le vrombissement incessant des mouches qui s'agglutinaient derrière lui, sur le bord poisseux de l'assiette, il n'y avait pas un bruit. Le soleil à l'ouest divisait la rue en une zone d'ombre et une zone de lumière. Tout au bout de la ville, là où la Route 229 débouchait dans la plaine brûlante, un mulet était attaché dans l'ombre clairsemée d'un mélia. Il était endormi sous une selle en bois, et des mouches gorgées de sang voletaient tout autour avec langueur. Du côté ensoleillé de la rue, une Buick 1948 avec une queue de renard sur l'antenne et un autocollant Go Navy sur le pare-brise arrière, était garée devant l'épicerie-droguerie Marvin, qui faisait également bureau de poste, et où flottait un fanion au poteau en aluminium. La Buick était la seule voiture de toute la rue. Il n'avait pas plu depuis deux mois."
Ce que j'en pense :
Ce roman écrit il y a plus de 40 ans mérite vraiment lecture. Portrait d'une Amérique profonde peuplée de monstres, de belles filles, de tarés, de tordus... et son écriture en fait un livre de poésie noire.
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Will du moulin de Robert Louis Stevensontraduction Marcel Schwob - éditions Allia
Présentation de l'éditeur :
Moins connu que L’Ile au trésor ou Dr Jekyll, Will du moulin était pourtant considéré par Henry James comme le chef-d’œuvre de Stevenson. Cette parabole sur le renoncement au monde, par sa pureté et sa simplicité, atteint la perfection d’une histoire zen.
Extrait :
"Le moulin qu'habitait Will avec ses parents d'adoption s'élevait dans une vallée en pente, entre des bois de pins et de grandes montagnes. Au-dessus, des sommets et des sommets s'étageaient, jusqu'au moment où ils émergeaient des bois touffus et se dressaient nus vers le ciel. Un peu plus haut, un long village gris s'étendait, semblable à une couture ou à une loque de vapeur, sur un versant boisé ; et, quand le vent était favorable, le son des cloches de l'église descendait, grêle et argentin, jusqu'à Will. Au-dessous, la vallée s'escarpait de plus en plus et allait en même temps s'élargissant ; et, d'une hauteur derrière le moulin, on pouvait l'apercevoir dans toute sa longueur, plus loin même, jusqu'à une vaste plaine, où la rivière étincelait en faisant un coude et allait de ville en ville dans son voyage vers la mer. Par hasard, au-delà de cette vallée, se trouvait une passe conduisant à un royaume voisin ; si bien que, tranquille et rurale comme elle l'était, la route qui longeait la rivière n'en était pas moins un lieu de passage entre deux sociétés splendides et puissantes. Pendant tout l'été, des berlines de voyage montaient lentement ou descendaient à toute bride devant le moulin."
Mon avis :
Belle découverte que ce petit texte très agréable (une cinquantaine de pages). Ecriture qui apparait très moderne.
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"Mon père est un homme oiseau" - Actes Sud Juniorde David Almond, illustré par Polly Dunbar - traduction : Anne Vantal
Présentation de l'éditeur :
Le papa de Lizzie se prend pour un oiseau ! Il parle aux corneilles du jardin, mange des vers de terre et agite les bras en courant comme s'il volait... Il s'est même fabriqué une magnifique paire d'ailes pour participer au Grand Concours de l'Homme Volant. Au début, Lizzie se fait du souci pour son papa, mais finalement, elle se lancera avec lui dans ce projet farfelu.
Extrait :
"C'était un matin de printemps comme les autres au 12, allée des Alouettes. Dehors, les oiseaux pépiaient et sifflaient. Au loin grognait le grondement de la ville.
Dring, dring, dring ! fit le réveille-matin. Lizzie sauta à bas du lit, se lava la figure, se frotta derrière tes oreilles, se brossa les dents, se brossa les cheveux, enfila son uniforme, descendit au rez-de-chaussée, remplit la bouilloire, la mit en marche, mit du pain dans le grille-pain, posa sur la table deux assiettes, deux tasses, deux couteaux, du lait, du beurre et de la confiture ; puis elle alla au pied de l'escalier."
Mon avis :
Ce livre peut paraitre loufoque mais derrière cette première impression il y a l'histoire d'une famille qui essaie d'accepter la disparition d'une mère. Très émouvant et magnifiquement illustré.
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